La Méthode Lincoln

Salut, passant. Tu dois te dire, mais que vient faire ici le biopic d’un Président des Etats Unis, fût-il signé Spielberg ? Hé bien tu as raison : si j’en parle ici c’est qu’il n’en est pas un, en réalité. Enfin…pas vraiment.


Effectivement, autant écarter tout de suite une erreur légitime que le titre même du film évoque ; ‘Lincoln’ ne raconte pas l’accession du petit avocat de l’Illinois  au statut de premier président républicain de l’histoire de son pays. Ou alors, très peu, au travers d’une anecdote, d’une histoire racontée par le vieux Tonton Abe ; juste assez pour qu’on puisse situer le contexte et ne pas réserver le film aux érudits. Mais là n’est pas le propos, non – au contraire, en fait. L’histoire que raconte ‘Lincoln’, c’est celle du 13ème amendement à la Constitution des Etats-Unis d’Amérique , qui abolit officiellement l’esclavage aux États-Unis. Tu te dis que ça va être sirupeux, une démonstration pleine de bons sentiments de l’ouverture d’esprit états-unienne, visant à montrer surtout à quel point c’est un pays génétiquement progressiste et égalitaire avant tout ? Hé bien non.

Ce qui fait de ‘Lincoln’ un film intéressant, c’est plutôt son approche qui se veut réaliste de l’univers politique (et qui y arrive plutôt bien) ; on assiste en gros à la vie d’un projet d’amendement constitutionnel qui, élaboré vite fait suite à un décret censé couper l’herbe sous le pied des Sudistes, doit maintenant légaliser la chose pour éviter un mic-mac législatif de premier ordre quand finira la Guerre de Sécession. Lincoln ici, c’est avant tout un homme de loi ; mais c’est aussi « un homme investi d’énormes pouvoirs » autant par la guerre que par son statut présidentiel, et il sait qu’il va devoir assumer àprès la fin du conflit ce qui s’est fait pendant celui-ci. De fait, ce n’est pas l’égalité entre tous les hommes qui le préoccupe surtout (encore qu’il y soit sensible) mais la définition légale de l’homme-esclave dans les territoires qui relèvent de sa juridiction.

Un peu, remarquez, comme le projet de loi sur le mariage, en France : c’est le statut légal de l’individu qui se joue, la manière dont il est traité devant la loi. De ce point de vue, ‘Lincoln’ est une assez jolie leçon de manœuvre politique ; ce n’est pas que le film donne les solutions, certes non, mais il caractérise bien la façon de gérer le problème, de biaiser, de défendre coûte que coûte son projet pour éviter une cacophonie législative et, du même coup, une injustice légale aux conséquences catastrophiques. On aimerait assez voir nos hommes et femmes politiques se battre comme ça à l’Assemblée, avec des arguments somme toute assez proches, au fond. Après, dans ce film, on a de tout : des députés qui changent de bord au dernier moment, des petits sournois qui pensent à leur avenir politique et financier avant tout, et des idéalistes qui mangent leur chapeau pour espérer parvenir à des compromis utiles à leur cause – scène géniale de Tommy Lee Jones, qui lui permet de transcender un rôle jusque là sans trop de nuances, pour le rendre finalement vraiment fort.

Après, Spielberg reste dans son rôle de peintre historique : il rappelle au détour d’une grosse blague de députés que le vote des femmes, comme celui des noirs, ça n’est pas pour tout de suite ; il montre les régiments de soldats noirs qui viennent renforcer les rangs des Nordistes, premier gros avantage de l’émancipation. Il rappelle la vie privée du couple Lincoln aussi. Mais ça n’envahit pas l’histoire, ça passe entre deux scènes de négociation de vote, ou entre les sempiternelles histoires de Tonton Abe qui font baver ses petits assistants et hurler ses généraux à la mort. Il est comme ça, Abraham Lincoln, il te tire une fable ou un discours de son chapeau (littéralement) dès qu’il veut te convaincre, et il t’endort, et il te retourne comme un gant sans que t’y prenne garde pour t’amener là où il veut. Redoutable comme un juriste ; et d’ailleurs, héhé, c’en est un.

Au passage, je te rappelle que tu pourras voir dans ‘Lincoln’ une brochette d’acteurs jeunes et moins jeunes. Que tu veuilles des monstres sacrés comme Daniel Day-Lewis, Davis Strathairn ou Tommy Lee Jones, ou bien la génération qui monte comme Jared Harris, Joseph Gordon-Levitt ou même Walton Goggins, pas d’inquiétude : ils y sont, et ils poussent la sérénade. C’est parfois un peu grandiloquent, bien sûr ; mais tu sors quand même de là avec une envie mastoc de botter amoureusement le derrière de ton député pour qu’il aille faire son devoir à l’Assemblée le mercredi. Oh, et quelle coïncidence, c’est justement le jour des sorties cinéma (bon, pour Lincoln c’était la semaine dernière, mais tu peux encore y aller).

 

La BANDE-ANNONCE :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *