LA SORCIERE ENRHUMEE – Dernière partie

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Le lendemain était un samedi de pleine lune. Tous les samedis de pleine lune, la vieille sorcière Débouzine préparait ses potions maléfiques. Et cette semaine, il lui fallait préparer le filtre qui-rend-moche-les-tops-models. Et elle avait enfin cette morve dont elle avait tant besoin pour sa préparation.

Elle donna le fameux ingrédient à son robot préparateur, lui programma la recette du filtre, et se dirigea vers la cave. Elle ouvrit la porte de la cellule, réveillant les deux jeunes gens endormis.

-« ALLEZ MES PETITS AMIS, ON SE LEVE ! » hurla-t-elle, « IL FAUT AIDER TATIE DEBOUZINE A PREPARER SON FILTRE QUI VA LA FAIRE DEVENIR RICHE, RICHE, RICHE! ON SE DEPECHE ! » vociféra-t-elle à nouveau. « JE VOUS EMMENE AVEC MOI, AU CAS OU… ».

Après quoi, réalisant que cette potion anti-gueule-de-bois que lui avait refilé sa grand mère était d’une inefficacité foudroyante, et, torturée par la migraine et sa propre haleine, elle finit par se taire.

Ils se levèrent péniblement, et suivirent la vieille sorcière sans un mot. Ce dont elle aurait du leur être reconnaissante étant donné son état, mais ce n’était pas une mauvaise sorcière pour rien : il allait de sa réputation d’être ingrate.

Elle se dirigea vers la colline aux sortilèges. Solémie en avait déjà entendu parler : c’était là que l’on menaçait d’envoyer les jeunes sorciers qui ne faisaient pas correctement leurs devoirs de sorcellerie. C’était le lieu où se réunissaient, les soirs de sabbat, les magiciens au service de l’Ombre.

Arrivée en haut de la colline, la vieille prépara son chaudron, son robot, s’assit sous un chêne, et attendit la pleine lune. Elle ne quittait pas les prisonniers de ses petits yeux rougeoyants et malins. Solémie ne pouvait toujours pas utiliser sa magie dans ce lieu maudit. Paolito ne disait rien ; il ne pensait rien non plus ; il était bien.

Enfin, après une interminable attente, la lune apparue, ronde et pleine dans le ciel sombre. Le robot commença sa préparation conformément à son programme. Mentalement, Débouzine se repassait le film de sa future vie de millionnaire, quand elle se rendit compte que quelque chose tournait rond : son robot préparateur clignotait en tournant sur lui-même.

Elle s’approcha de lui pour le frapper. A cet instant, une impressionnante gerbe d’étincelles jaillit du chaudron sur lequel travaillait le robot, provoquant ainsi un léger court circuit dans sa programmation.

Le robot se retourna alors vers Débouzine qui s’était reculée et, au lieu de lui signaler de sa voix métallique qu’un ingrédient manquait et que ce qui lui avait été programmé comme de la morve de sorcière enrhumée par un rayon de pleine lune n’était en fait que du sperme de troubadour énamouré, il se lança dans une grande diatribe sur les moeurs décadents des jeunes gens de nos jours, avec la voix de John Steed (quoiqu’il tendit davantage vers le timbre d’Emma Peel en fin de phrase).

Il jeta alors ce que Débouzine pensait être de la morve de sorcière enrhumée par un rayon de pleine lune dans le chaudron. Il laissa ensuite mijoter la préparation afin que le vomi de gognol et le jus de poutre caramélisé se fusionnent jusqu’à former un mélange homogène. Vers 23h07, le filtre était prêt, il ne restait plus qu’à l’ôter du feu pour le laisser refroidir.

Débouzine s’approcha donc du chaudron, écarta d’un magnifique revers du gauche son robot et prit le chaudron à pleine main pour le poser à côté du foyer. Puis elle se pencha au dessus du chaudron dont la mixture continuait tout de même à bouillir. Elle bouillait même de plus en plus : d’énormes bulles se formaient à la surface saumâtre qui aurait du, selon la recette du Little Book of Malevolences, être « lisse et parfaitement claire, tel le miroir des âmes ».

Tandis que Débouzine entreprenait de crever une bulle particulièrement ignoble avec son ongle le plus long (17 centimètres), Solémie faisait signe à Paolito de la suivre, et ils se dirigèrent lentement vers le robot préparateur.

Ils étaient à sa hauteur quand l’explosion retentit, ils coupèrent leurs liens à l’aide du bras-lame de bronze du robot qui pérorait désormais sur la lenteur du gouvernement à mettre en place les décrets d’application de la troisième loi de la robotique.

Tandis qu’ils coupaient leurs liens, l’explosion avait projeté un jet de la mixture suspecte sur Débouzine, qui ressemblait maintenant une espèce de flaque bouillonnante, visqueuse et glauque, dont les bords dégageaient une odeur malsaine. Puis une forme sortit de la flaque, se transformant peu à peu en une méphitique créature pleine d’écailles.

La créature mesurait plus de trois mètres de haut, avait un visage de poisson, une odeur de poisson, et des dents de barracuda adulte et bien nourri. Son corps recouvert d’écailles verdâtres ruisselait d’un éclat violacé radioactif. Débouzine s’était transformée en un horrible Gognol mâle des profondeurs.

*****
Le Gognol s’approcha des deux jeunes gens d’un pas rendu maladroit par les palmes qui remplaçaient maintenant ses pieds. Paolito poussa Solémie derrière lui, arracha le bras-lame de Walter Finn IIe du nom, et tel le preux chevalier dont il se sentait l’âme, il fit face à son adversaire.

L’affrontement était acharné : les terribles griffes du Gognol lacéraient la chemise de drap parfumée à la fleur d’oranger du troubadour, qui était lui-même beaucoup moins à l’aise armé d’un glaive, qu’avec son flûtio.

Mais le Gognol a un point faible bien connu : le creux poplité droit, où se trouvent nichés ses organes reproducteurs. Et c’est ce creux poplité droit que s’efforçait d’atteindre à coups de moulinets maladroits Paolito. Il était bien aidé en cela par les palmes du Gognol qui le déséquilibraient gravement.

Le Gognol menaçait à chaque minute de déchirer le torse velu de Paolito que laissait maintenant paraître sa chemise déchirée. Paolito reculait sous les assauts de la créature. Il était au bord de la colline. Il ne pouvait plus reculer, et son épée ne lui servait pas plus devant le féroce monstre et sa carapace d’écailles violacés, qu’un chalutier au Père Noël pour livrer ses cadeaux en Hongrie.

Acculé au bord du précipice, menaçant de la dévaler de tout son long dans une chute mortelle, il n’envisageait plus du tout l’avenir sous un jour riant, et commençait à se demander qui raconterait cette aventure à ses copains, s’ils n’en réchappaient pas. Solémie aussi craignait pour la vie de son héros, et, quand le monstre se lança sur lui dans un dernier élan qu’il pressentait victorieux, elle poussa un terrible hurlement.

Le Gognol tourna la tête dans sa direction, et ce faisant, ne regarda plus devant lui, se prit les palmes dans le gazon tendre de la colline, et chut massivement sur le sol. Paolito s’approcha alors résolument de la Bête étendue, qui commençait à se relever.

Tandis que la Bête se relevait, Paolito s’efforçait de brandir courageusement son épée. Il allait frapper lorsque la créature, à nouveau d’aplomb, décida de charger sans plus se laisser distraire.

Saisissant ce moment opportun où l’attention du Gognol était entièrement focalisée sur Paolito, Solémie qui s’était approchée, fit un croche-patte au Gognol, qui s’écroula de tout son poids sur elle, avant qu’elle n’ait eu le temps de s’écarter.

Fou d’angoisse devant le corps du Gognol étendu sur celui de sa belle, Paolito, levant son épée, trancha d’un seul coup, les deux jambes du Gognol. Celui-ci poussa un hurlement sauvage, et s’éteignit un dernier vaillant gargouillis de bave immonde lui dégoulinant hors des babines.

Le combat était terminé. Paolito avait vaincu le Gognol, mais perdu sa belle. Fou de douleur, et le coeur brisé, il s’approcha du Gognol pour le soulever. Réunissant toutes ses forces, et se servant de son épée comme levier, il parvint enfin à soulever le monstre, et à le faire rouler jusqu’en bas de la colline.

Sa belle était étendue sur le ventre, sa jolie robe de soirée maculée d’écailles verdâtres et purulentes. Une odeur immonde émanait d’elle, mais il ne la sentait pas. Il ne sentait plus rien d’autre que sa douleur.

Il la prit dans ses bras, la serrant très fort, et l’embrassa de toute la fougue de ses jeunes années. Le corps de Solémie fut pris d’un long frisson, puis, ses grands yeux s’entrouvrirent, et elle lui sourit. Sentant son coeur gonflé de tout l’amour qu’il lui portait, il la prit dans ses bras, et commença à redescendre la colline maudite.

Au bas de la colline, il se retrouva entre deux nouvelles collines. Il ne connaissait pas le chemin, et ne savait lequel prendre. Solémie, dont les pouvoirs magiques revenaient au fur et à mesure qu’elle s’éloignait de ce lieu maudit, lui indiqua une direction.

Il la reposa délicatement à terre, et, main dans la main, ils gravirent la seconde colline, s’éloignant du lieu de la funeste bataille, dans le soleil couchant, en route vers de nouvelles aventures.

Quand à la colline maudite, les mauvais sorciers l’évitent désormais : on raconte, qu’à son sommet, vit un étrange esprit manchot, qui ne se tait jamais, et dont la conversation est plus ennuyeuse que celle d’un diplomate.

Fin.

© Virginie Breham  – 1998

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