Le bon goût, c’est surfait

La musique est, par son omniprésence, l’art le plus consommé et le plus facilement consommable au monde. Comme toutes les autres formes d’art, elle s’accompagne d’une technique et d’un savoir qui touchent à l’intellect, au spirituel, à l’émotion et au sens esthétique.
On aime la distinguer en trois grandes catégories, qui se déclinent ensuite en genres : la musique traditionnelle, associée à une culture et/ou à une zone géographique spécifiques, le plus souvent transmise oralement et soumise aux réinterprétations ; la pompeusement nommée “musique savante”, qui à l’origine désignait la musique classique occidentale, mais qui désormais tend à englober toutes les musiques classiques, ainsi que la musique moderne et contemporaine ; et la musique populaire, dont les racines remontent à la musique traditionnelle, au chant folklorique et aux chanteurs de rues, et qui s’appuie sur des techniques tirées aussi bien de la traditionnelle que de la savante.

Pourquoi je vous raconte tout ça alors que n’importe qui peut aller faire un tour sur Wikipédia pour y lire la même chose ? Ben, parce qu’il me semblait nécessaire de revenir aux bases, pour comprendre pourquoi et comment la musique populaire est devenue cet enfant bâtard qui s’oppose à ses deux parents réacs, et vice versa.
Parce qu’il faut se rendre à l’évidence : on a tous au moins une fois été jugé négativement sur nos goûts musicaux. On critique la “soupe” de l’adepte de pop et d’électro ? Boarf, pas très grave, puisque le fan de jazz et de musique baroque se déjà fait taxer d’écouter de la musique dépassée et poussiéreuse. Et forcément, celui qui écoute autant de rap français que de black metal ne peut *pas* être cohérent, ça cache forcément quelque chose…

Ça, c’est le bullshit contradictoire habituel, qu’on nous sert tous les jours, dès l’enfance, via nos parents, nos professeurs, les médias, nos potes, nos collègues, nos vagues connaissances, et qu’on finit par ressortir nous aussi, consciemment ou non, au nom d’un obscur consensus sur ce qu’on appelle le “bon goût”. Mais qu’est-ce que le bon goût ? Disons que si nos goûts musicaux devaient être une part de pizza, le bon goût serait ce groupe de personnes narquoises déboulant pour te piquer ton olive, manger ta croûte, lécher ta sauce tomate et mâcher ton chorizo, tout en te disant “Mais fais pas la gueule, on t’a laissé le fromage ! C’est le seul truc qui vaut le coup, le reste était dégueu !”.

 

bon-gout-illus bon goût

Comment parler de “l’élitisme musical” sans tomber dans le discours moralisateur à base de “arrêtez de dire que c’est de la merde, dites juste que vous aimez pas” ? Comment parler de “l’élitisme musical” tout court ? Comment parler de musique ? Comment parler de ce qui nous *semble* être de la bonne musique ? Il y a tellement de points à aborder pour une réflexion poussée qu’un article ne suffirait pas. Il faudrait disserter sur l’histoire de la musique, les techniques, les connaissances, les émotions provoquées par l’art en général, l’écart générationnel, la culture, l’appartenance, la lutte des classes, la sociologie, la psychologie, etc…

Mais même sans être musicologue, même sans prendre la peine d’écouter et de repérer les similitudes et les influences, en traînant simplement dix minutes sur Internet, c’est facile de se rendre compte que tous les genres s’inspirent entre eux, et que la frontière entre ce qui est populaire et ce qui ne l’est pas est résolument floue. Le jazz, considéré comme musique populaire par excellence, et qui pourtant s’avère être un genre plutôt opaque pour nombre de gens, peut selon sa forme être considéré comme musique savante. La musique électronique s’est inspirée et a inspiré la très savante musique électroacoustique. Le rock découle du rock’n’roll qui lui-même s’inspire de la country, musique traditionnelle, et du R’n’B, musique populaire. C’est tout aussi facile de constater que notre rapport à la musique – et aux musiciens – a bien évolué au fil des siècles, et qu’après l’ère des ménestrels anonymes et des compositeurs reconnus après leur mort, celle des idoles mondialement fanatisées a tout l’air d’être partie pour durer, puisque nous sommes en partie la raison de son avènement.

Oui, il y a ceux qui se contentent d’interpréter et de vendre à un public très large. En essayant, ou non, de transmettre des émotions, des valeurs ou simplement une envie de faire danser les gens. Est-ce que cela rend le simpliste et l’anecdotique négligeables, détestables pour autant ? Dirait-on la même chose pour un film ?

Oui, il y a ceux qui ont plus de technique, de connaissances que d’autres. Qui font de la musique plus étudiée, plus intellectuelle. Mais est-ce que cette connaissance la rend vraiment meilleure ? Pourquoi sacraliser ce qui est peu accessible tout en crachant sur ce qui l’est facilement, alors que chacun sait que l’humain est une feignasse inconsciemment à l’affût du moindre raccourci physique, intellectuel et idéologique ? Pourquoi dénigrer ce qui n’est pas pointu quand cela ne sonne pourtant pas faux ? Pourquoi piétiner, même pour la blague, ce qu’un autre individu se borne à aimer involontairement ?

Pourquoi ne pas se contenter de l’émotion ? De *notre* émotion, et pas de celle des autres, puisqu’on ne la saisira jamais entièrement de toute façon ?

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