Le mage du Kremlin, prix du roman de l’Académie Française 2022

Le mage du Kremlin, premier roman écrit par Giuliano da Empoli, prix de l’académie Française 2022, retrace l’arrivée au pouvoir puis le règne de Vladimir Poutine, racontés par son conseiller politique.

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Bonjour et bienvenue dans « un dernier livre avant l’apocalypse nucléaire », la chronique littéraire bimensuelle pour bien choisir ses lectures en attendant la mort dans d’atroces souffrances.

L’apocalypse nucléaire arrive et vous ne savez plus quoi lire ?

Il n’y aura bientôt plus assez d’eau pour refroidir nos centrales, et vous êtes en quête d’un bon bouquin ?

La guerre en Ukraine dure depuis plus d’un an, et vous ressentez le besoin d’une lecture solide, puissante, et réconfortante ?

Pas de panique, nous sommes là pour ça. Cette semaine : Le mage du Kremlin de Giuliano da Empoli.

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Au risque de décevoir les « potterheads » qui se régalaient d’avance : non, le mage du Kremlin n’est pas un nouvel épisode de la saga de J.K. Rowling. Désolé.

(Dîtes vous êtes dans quelle maison vous ? Moi Serdaigle j’suis dèèèèèèèèèèg’)

En réalité, malgré son titre évocateur, il n’y a pas plus de magie dans le bouquin que dans mon couple depuis mars 2013.

(C’est faux. Je t’aime P.)

En réalité, le titre est évidemment un clin d’œil à Raspoutine. Mais si, Raspoutine, tu connais, le mec de la chanson de Boney M., là :

 

Ra ra Rasputin

Lover of the Russian queen

There was a cat that really was gone

Ra ra Rasputin

Russia’s greatest love machine

It was a shame how he carried on

 

(j’espère que tu l’auras dans la tête toute la semaine, tiens).

Reprenons.

Le saviez-vous ? Aux États-Unis, en 2019, un institut de sondage a posé la question suivante à un panel d’américains âgés de 18 à 80 ans : « Savez-vous ce qu’est le Kremlin ? ». Les réponses ont été édifiantes :

– « Je crois qu’il doit m’en rester un vieux qui traîne quelque part à la maison » : 37 %

– « Ma sœur l’a eu quand elle était petite mais elle n’en a pas gardé de séquelles » : 28 %

– « Non, je ne vais jamais au restaurant chinois » : 5%

– « Ce serait pas la chanteuse de BTS ? » : 14 %

Ce qui prouve une fois encore que les sondages racontent n’importe quoi.

(si tu trouves que le total fait moins de 100 %, recompte une deuxième fois. Si tu trouves à nouveau moins de 100 %, c’est parce que je me suis planté. J’ai arrêté l’école en quatrième, aussi)

L'auteur en chemise blanche lors d'une interview

Ce premier roman écrit par Giuliano da Empoli a remporté le prestigieux prix 2022 du roman de l’Académie Française, excusez du peu !

On va être sérieux deux minutes, là, les enfants. Rendez vous compte : L’Académie Française ! des octogénaires qui se déguisent en habits verts, arborant bicornes et épées, qui passent leurs journées à étudier si on doit écrire « bifle » ou « biffle » dans un sexto à sa belle-mère, ou si les verbes « daber » ou « chiller » doivent rentrer dans le dictionnaire, tout en se demandant qui sera le prochain à caner… ça te pose un prix !

Il faut dire que le mage du Kremlin est une réflexion sur le pouvoir politique.

Un homme, Vadim Baranov, producteur d’émission de téléréalité, se retrouve à travailler au service du futur Tsar Poutine, et devient son conseiller alors que celui-ci n’est encore qu’à la tête du FSB.

Si Baranov n’a pas réellement existé, il est calqué en tous points sur le vrai conseiller de Poutine, un certain Vladislav Sourkov.

Poutine et Baranov vont s’attacher à restaurer la verticalité du Pouvoir dans la Russie post-soviétique, et à remettre de l’ordre dans un pays éclaté, divisé, en appliquant des recettes du monde du spectacle à la politique.

Contrôler les colères du peuple, orienter ses peurs pour mieux le manipuler, toujours lui offrir un responsable à blâmer pour les mauvaises situations dans lesquelles il se trouve : voilà quelques-unes des leçons de gouvernance que le livre développe.

L’auteur appuie son propos sur l’humiliation subie par la Russie depuis l’effondrement de l’URSS, la honte qui aurait été ressentie sous les Présidences de Gorbatchev, puis d’Eltsine, et les années d’errance de l’épisode de l’argent-roi avec l’apparition des oligarques lors de l’ouverture au commerce.

Il rappelle en outre la souffrance de ne plus être vu comme ce grand Pays (et même le plus grand pays du monde en termes de superficie) qui, par le passé, a rayonné par son immense culture, et a joui d’une réelle importance à l’échelle mondiale, avant de se retrouver irrémédiablement catalogué comme le grand perdant de la « fin de l’Histoire ».

Ajoutez à cela le ressentiment face aux USA et à l’OTAN, qui ont voulu traiter Poutine comme si c’était un simple clone d’Eltsine, un jouet de l’occident, jusqu’à la trahison fatale lors de la Révolution en Ukraine en 2015 et les élections annulées, et vous aurez un cocktail qui peut expliquer au moins en partie la situation actuelle.

(Jurisprudence Manuel Valls : expliquer n’est pas excuser)

Le récit retrace ainsi les grands évènements de l’histoire de la Russie ces vingt-cinq dernières années : le fou rire de Clinton et Eltsine à la télé, le prétexte de la guerre en Tchétchénie pour asseoir Poutine au pouvoir, la gestion dramatique du naufrage du Koursk, l’épisode du Labrador et de Merkel, la Révolution en Ukraine, les jeux de Sotchi…

Mes faibles connaissances de la littérature russe m’ont amené à repenser au Limonov d’Emmanuel Carrère pour l’ambiance; personnage qu’on croise d’ailleurs dans le roman (Limonov, pas Carrère). Du côté du style, ça m’a rappelé les romans d’Aurélien Bellanger, notamment pour le côté histoire vraie entremêlant des personnages fictifs et d’autres bien réels.

On pourrait considérer que tout ceci constitue très probablement une vision très occidentaliste de la Russie, qui satisfait nos considérations d’européens. Pas faux. Mais c’est aussi un bon roman, divertissant et captivant, qui tente d’apporter au grand public un éclairage sur le personnage étrange et inquiétant qu’est Vladimir Poutine.

Le roman aurait dû être publié en 2021, mais, la faute au covid, il ne parait qu’en avril 2022… et tombe à point nommé avec le déclenchement de la guerre en Ukraine.

En complément à la lecture de ce bouquin, si le sujet vous intéresse, je vous recommande également :

– le podcast « Poutine, le tsar soviétique » en 5 épisodes par Philippe Collin sur France Inter

– cette interview du sociologue Grigorii Ioudine donnée au magazine Meduza et traduite en français sur le blog de Delenda est Ruthena putinesca sur Mediapart

 

Un livre à lire avant l’Apocalypse nucléaire ; mais tardez pas trop à le commencer quand même…

Couverture du livre - collection Blanche de chez Gallimard

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Le mage du Kremlin, Giuliano da Empoli, Editions Gallimard, 2022

Allez l’acheter chez votre libraire du village. Et s’il n’y a plus de librairie, c’est simple : ouvrez-en une.

 

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