Eugène Rougon est le personnage qui tire les ficelles dans les romans du premier quart de la saga. Souvent évoqué, généralement avec crainte et respect, mais rarement présent, il était logique que Zola lui consacre un tome entier, histoire de lever le voile sur l’homme derrière le mythe
Dans le sixième volet de la saga des Rougon Macquart, Zola pénètre, selon ses termes, « les coulisses de la politique ». Et force est de constater que ce n’est pas très reluisant et que rien n’a vraiment changé en 150 ans. L’avantage, c’est qu’on n’a aucun mal à s’imaginer les situations décrites, l’inconvénient c’est qu’on ne peut plus se faire aucune illusion sur la capacité des politiques à changer vu que leur comportement tient manifestement plus de l’atavisme que d’une faiblesse passagère et guérissable.
Le Lieu
En France, hier comme aujourd’hui, qui dit pouvoir politique, dit Paris. L’action se déroule dans le Paris politique et influent, entre les salons de la rue Marbeuf et de la rue du Colisée, le Palais de Saint-Cloud où se tient un conseil des ministres, la résidences de Compiègne où la Cour organise un weekend de chasse au renard, le ministère de l’Intérieur et le Palais Bourbon. Le lecteur se payera juste une petite incartade à Niort pour l’inauguration d’une ligne de Chemin de Fer et l’arrestation musclée, arbitraire et tout à fait clientéliste d’un notaire mourant dont la sœur, amie de son Excellence Eugène Rougon, aimerait bien capter l’héritage avec le moins de concurrence possible.
Les Personnages
Eugène Rougon est le seul membre de la lignée Rougon Macquart présent dans l’ouvrage. Président du Conseil d’Etat démissionnaire, puis homme politique sans portefeuille, puis ministre de l’Intérieur, on assiste à toutes les étapes de la vie d’un homme politique moderne. Un homme politique qui ne serait rien sans ses réseaux d’influence. En matière de réseau, la bande à Rougon réunit une belle galerie de personnages vils, calculateurs, égoïstes, un peu idiots et surtout très ingrats.
Son Excellence Eugène Rougon est également le roman où l’on croise régulièrement l’empereur Napoléon III dont le portrait est tout sauf séduisant. Petit bonhomme chafouin et blasé qui semble plus s’intéresser au cul de la comtesse qu’à la politique de l’Empire. Comme s’il avait été précipité là par des éminences grises qui gouvernent en sous marin.
Les autres politiques, ministres, chefs de cabinet, préfet, commissaires de police ne sont pas mieux lotis. Il n’y a vraiment personne pour relever le niveau dans cette sinistre galerie des masques.
Le contexte Historique
Le roman se déroule durant la première décennie du Second Empire, entre 1855 et 1861. Pour faire simple, c’est un Empire. Donc plutôt centré sur la figure impériale et sa famille. Faste des réceptions, bals jusqu’à point d’heure, défilé dans Paris à l’occasion du baptême du petit dernier, rien n’est trop beau, rien n’est trop cher pour donner de l’Altesse Impériale une image quasi divine. Politiquement parlant, la démocratie est en marche, mais elle n’a pas la vie facile. On a une Assemblée Nationale qui s’appelle le Corps Législatif, mais vu qu’elle est totalement acquise à la cause impériale, il n’y a pas vraiment d’enjeux politiques. Les ministres (les fameuses Excellences) ont l’autorité sur leur administration et sur les projets de loi. Le régime n’est pas si éloigné que cela de notre cinquième république, avec son Président omnipotent et responsable devant personne, ses ministres, ses députés…certes, niveau social, libertés individuelles et liberté d’expression on a pas mal avancé mais sur la partie politico-politicienne, rien n’a changé. Si tu veux aller plus loin sur le volet politique, tu as la page Wikipédia du Second Empire qui est bien fournie : ici.
Tout est en place, le rideau se lève sur…
(j’ai repris le résumé Wikipédia que je trouve plutôt complet). L’action s’ouvre sur une séance à la chambre des députés. Chacun est venu comme au spectacle, les propos relèvent du commérage plutôt que du débat, la chambre est totalement soumise à l’Empereur. Lorsque Eugène Rougon, tombé en défaveur, démissionne de la présidence du Conseil d’État, on assiste à tout le travail d’influence auquel se livre son entourage, sa bande, pour le ramener au pouvoir. Chacun espère servir ainsi plus tard son intérêt propre. La relation d’Eugène Rougon avec Clorinde Balbi, belle Italienne excentrique et aventurière, est ambiguë : il aurait pu l’épouser mais, par peur des femmes, il préfère la marier à Delestang, haut fonctionnaire plutôt falot. Elle le sert pourtant et travaille à son retour en grâce auprès de l’Empereur. Grande manipulatrice, allant jusqu’à se compromettre avec de Marsy, le rival politique de Rougon, c’est elle qui dirige la bande pour le ramener au pouvoir. Informé en secret de la préparation de l’attentat d’Orsini du 14 janvier 1858 contre Napoléon III, Rougon ne révèle rien et laisse le drame se produire. Le climat d’insécurité lui profite : l’Empereur le rappelle et lui confie le ministère de l’Intérieur avec ordre de faire régner la peur sur le pays. C’est l’apogée de sa carrière. Il gouverne d’une main de fer et place les membres de sa bande. Le temps est à traquer et faire déporter les républicains. Le cynisme et la cruauté atteignent leur sommet avec l’arrestation à Niort du notaire Martineau, pourtant mourant.
Sentant que l’excès de pouvoir nuit à Rougon et aussi parce que chacun a obtenu ce qu’il souhaitait, l’entourage du grand homme prend alors ses distances vis-à-vis de lui. Clorinde, devenue maîtresse de l’Empereur, provoque sa chute, se vengeant enfin de l’homme qui n’a pas voulu d’elle comme épouse.
Trois ans plus tard, en 1861, Rougon revient au gouvernement comme ministre sans portefeuille. L’acharné partisan d’un Empire autoritaire s’est transformé en défenseur de la politique libérale que promeut Napoléon III. Adaptant son opinion aux circonstances, il revient avec succès dans les sphères du pouvoir.
La cerise sur le gâteau
Impossible de trouver une scène plus méchante, ce bouquin c’est comme si Hugo avait écrit un spin off des Misérables concentré sur les Thénardier. Tout le monde il est pourri, tout le monde il est vénal, tout le monde il pense qu’à lui…on a presque pitié pour Rougon quand sa bande se retourne contre lui. Donc les scènes d’anthologie c’est pas ce qui manque, même si niveau rythme la deuxième partie du livre (après que Rougon soit devenu ministre) est bien plus intéressante que la première partie (mais une traversée du désert, c’est toujours un peu chiant).
Le trait saillant du livre est ce propos politique qui le rend intemporel. Eugène Rougon, c’est un peu Nicolas Sarkozy, un peu François Hollande, un peu plein d’hommes politiques en fait. De même Napoléon III, c’est aussi un peu François Mitterrand…et je ne t’en cite que trois un peu connus, mais on retrouve dans la galerie de portraits de cour les traits caractéristique de notre scène politique actuelle, et ça c’est très fort, et comme je le disais en introduction, très inquiétant pour notre avenir!