La Soupe aux choux, un roman plus profond qu’il n’y parait, drôle et triste à la fois, par René Fallet.
*****
J’ai récemment relu la Soupe au choux de René Fallet.
Loin de se réduire à ce simple gag que tout le monde connaît sur les possibilités de communication extra-solaire au moyen de « flatulences brassicaires » (tu as vu comme je m’exprime bien ?), le roman est surtout un portrait nostalgique d’une France rurale qui, en 1980 déjà, appartenait au passé.
Le texte aborde des thèmes forts tels que la désertification rurale, la fuite du temps, la modernisation échevelée de la société, l’évolution des mœurs, le fossé entre les générations, et se permet même un peu de féminisme avec le personnage de la Francine, qui se voit octroyer une seconde chance inespérée mais bien méritée.
René Fallet dépeint des personnages hauts en couleur d’un petit village du Bourbonnais, en s’attardant plus précisément sur le quotidien de deux septuagénaires clairement dépassés par le monde moderne ; deux vieillards nés au début du 20ème siècle et restés dans leur jus. Claude Ratinier dit le Glaude, ex sabotier, et Francis Chérasse dit le bombé, puisatier à la retraite, dont on se moque gentiment tout en se prenant d’affection pour eux, sont voisins et habitent au fond du hameau des Gourdiflots à Jaligny dans l’Allier.
À ce duo comique, l’auteur ajoute un troisième compère, un extra-terrestre natif d’Oxo et surnommé « la Denrée », qui servira surtout de prétexte pour définir tout ce qui caractérise l’être humain (l’amour, le plaisir, l’amitié, et la soupe aux choux naturellement, dont la recette précise nous sera délivré par le Glaude dans le roman).
La plume de Fallet est merveilleuse (en digne héritier de Marcel Aymé, dont le nom a déjà été évoqué dans mon précédent billet), maniant le langage avec une tonalité douce-amère mais aussi beaucoup d’humour basé sur des gags très visuels et des personnages archétypaux autant que sur les tics de langage et régionalismes qui foisonnent (entre autres bredins et brelots à prononcer « beurre-din et beurre-lot »). C’est à la fois drôle et triste. Ou trôle et driste.
Quand on y réfléchit, l’évolution est folle pour ces gens qui ont traversé le 20ème siècle : en moins de cent ans, on est passé de campagnes sans eau courante ni électricité, sans voitures, sans télévision, aux centrales nucléaires, à la station spatiale internationale, au smartphone, et, summum de la modernité, au hand-spinner !
Le film tiré du roman est très fidèle même s’il occulte quelques passages et personnages de l’histoire d’origine. L’exceptionnel trio d’acteurs qui incarnent le Glaude (Louis de Funès), le Bombé (Jean Carmet) et la Denrée (Jacques Villeret) ainsi que son thème musical inoubliable (une mélodie folk d’inspiration bourbonnaise composée et jouée au synthé par Raymond Lefèvre) font de ce film un succès populaire qu’on revoit avec nostalgie comme le témoin de son époque.
Je croyais en avoir terminé là ce billet sur la Soupe aux choux.
Cependant, en me renseignant sur l’auteur pour ce billet (le gars est en mode investigation, il se prend pour Élise Lucet (et il parle de lui à la 3ème personne…)), j’apprends que René Fallet est le créateur, avec Robert Sausa, son voisin et ami, des boucles de la Besbre, une sorte de course cycliste pour le moins loufoque organisée de 1968 à 1975.
« Le cheval n’est pas le meilleur ami de l’homme, c’est le vélo : car il n’y a pas de boucheries vélocipédiques. » René Fallet
Sur un circuit de 28 kilomètres, découpé en 6 étapes (appelées « points chauds »), partant de Jaligny et suivant le parcours de la Besbre, René Fallet imagine pour ses copains une randonnée à vélo dans sa campagne natale dont le règlement est absolument délectable :
– Les échappées sont interdites, sauf celles décidées par l’organisateur
– les arrêts-bistro dans les points chauds sont obligatoires
– Le vainqueur est soit connu d’avance, soit c’est celui qui a pris le plus de poids entre le départ et l’arrivée
— Les abandons non justifiés seront récompensés par une bouteille de champagne !
Parmi les participants, outre René Fallet lui-même, on retrouve des grands noms tel que Michel Audiard ou encore Jean Carmet que l’on peut voir dans ce reportage INA en noir et blanc sur un air de bal musette :
Avec cette anecdote me vient l’envie d’organiser moi aussi avec une poignée d’ami.e.s quelque chose de similaire, une promenade à vélo sans enjeu autour de chez moi, avec des arrêts en terrasse imposés sur le parcours, en hommage à l’amitié, à René Fallet, et à cette époque révolue.
On appellerait ça par exemple « les boucles du Couesnon », on prendrait la route à vélo par une belle et chaude journée d’août, sur un tracé prédéfini suivant la vallée du Couesnon ; on écrirait un règlement rigolo qui serait lu à tous juste avant le départ.
Et ce serait comme si, l’espace d’un instant, le temps s’arrêtait. On oublierait la modernité, la dictature de l’immédiateté, le quotidien morose, et ce serait chouette.
Et pourquoi pas ?
(à suivre ?)
Un livre à lire avant l’apocalypse nucléaire, mais tardez pas trop quand même …
*****
La Soupe aux choux, René Fallet, Ed. Denoël, 1980
La Soupe aux choux, René Fallet, Ed. Gallimard, coll. « Folio » n°1479, 1983
Allez l’acheter chez votre libraire du village. Et s’il n’y a plus de librairie, c’est simple : ouvrez-en une.
