Le Jardin du bossu est un roman noir hilarant de l’immense écrivain français contemporain Franz Bartelt.
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Dans la lecture, il y a le plaisir de découvrir un bouquin pour la première fois, un auteur, un univers… Et puis il y a aussi le plaisir de relire, qu’on néglige trop souvent.
Se replonger dans un livre qu’on a adoré, c’est s’y construire un refuge, un abri douillet pour les jours de cafard, et y retrouver un espace agréable, confortable et sécurisant.
Je crois qu’il est temps que je vous parle de mon pèlerinage au Jardin du bossu.
Chaque année ou presque depuis 2007, de manière rituelle, je fais un séjour dans le Jardin du bossu de mon maître en écriture, le génial Franz Bartelt.
Franz Bartelt : écrivain ardennais né en 1949 dans l’Eure, romancier certes reconnu, mais pas encore fêté à sa juste valeur (et ceci malgré tout le mal que je me donne pour faire grandir sa renommée).
Si tu me lis ici, sois remercié, Jean-Marc, libraire au Cadran Lunaire à Mâcon, d’avoir écrit dans le dossier Initiales n°20 sur le roman noir datant de 2007, un article intitulé « Fan Club Bartelt », dont je reproduis ici fidèlement une partie du propos puisque je ne saurais dire mieux :
« Mais y’en a qu’un, le meilleur, le plus grand, l’ardennais retranché, l’amoureux des mots patenté : Franz BARTELT ici nommé.
[…]
Compte pas sur moi pour tout analyser, décortiquer. Un « Bartelt », ça se laisse apprivoiser, pour après se savourer à grandes lampées. Juste une piste, va voir du côté du jardin du Bossu, pour te familiariser. Après t’es piqué, complètement shooté, camé.
Tu sais, on est déjà un paquet à s’être faits prendre dans les filets, alpagués, intoxiqués. Alors tu pourras rejoindre le cercle très prisé des Bartelt accoutumés, adhérer au front de prolifération des Franzisés. »
Dans le Jardin du bossu, un mec basé sur l’idée de gauche, un homme du peuple qui s’identifie lui-même comme un « couguar », décide de suivre un con rond comme une queue de pelle et les poches pleines de pognon qui rentre chez lui après une soirée bien arrosée dans un bistrot, avec l’idée de lui soutirer quelques biftons pour faire plaisir à Karine, sa régulière. Et c’est tout ce que vous avez à savoir.
Le Jardin du bossu est un roman d’humour noir qui explore le thème du mensonge et de la duplicité. Franz Bartelt joue avec les codes et les limites du contrat tacite passé entre le lecteur qui doit accepter d’être crédule, et l’auteur tout-puissant qui le manipule.
Un roman hilarant qui vous réserve un twist final magistral, je ne peux pas vous dire mieux.
Le style Bartelt, c’est de l’humour noir ou absurde, des personnages loufoques à tous les coins de rue, des litres et des litres et des litres de bière, et surtout une science hallucinante pour trouver des noms à ses personnages, qui pourraient parfaitement être des ressortissants Grolandais.
Franz Bartelt aime les gens, tout simplement. Il aime les écouter parler et attraper les tics de langages et autres caractéristiques orales des figures de la société.
Souvent ses personnages sont auteurs ou écrivains en devenir.
La langue de Bartelt est magnifique ; il y a chez lui ce mélange entre une écriture très fine et précise, et un parler populaire. On y trouve une multitude d’aphorismes de comptoirs et autres réflexions de bistrots assénés comme autant de vérités définitives. Les dialogues sont savoureux, émaillés des fulgurances littéraires de ses personnages, et ponctués de néologismes ou peut-être de régionalismes peu usités ou tombés en désuétude. Franz Bartelt est un amoureux des mots.
J’ai relu la Soupe aux choux de René Fallet à peu près en même temps, et j’ai cru entrevoir un lien entre l’univers de Bartelt et celui de Fallet. Le dénominateur commun entre les deux pourrait être un certain Marcel Aymé, dont je n’ai pas encore abordé l’œuvre.
Bien sûr le spectre de Rimbaud, immense figure de Charleville-Mézières, plane sur toute l’œuvre de Bartelt, qui est fortement marquée par un territoire, celui des Ardennes et de la frontière franco-belge.
Je vous conseille d’ailleurs le podcast LSD du 04 mars 2020 sur France Culture raconté par Bartelt, consacré à un certain Paul Boens, qui cherchait le trésor de Rimbaud, et dont on jurerait qu’il sort tout droit d’un roman de Bartelt :
Le Jardin du bossu est probablement une excellente porte d’entrée dans l’univers barteltien.
Mais il y en a d’autres, désormais. Aux lecteurs de 2024 qui souhaiteraient se lancer dans la bibliographie de l’ardennais mais ne sauraient par où commencer, je recommanderais facilement la lecture d’Hôtel du Grand Cerf (Prix Mystère de la Critique et prix 813 en 2018), un polar de très grande facture dans lequel la loufoquerie de Bartelt se fait plus contenue, mais qui gagne en accessibilité pour les amateurs de polars plus traditionnel. Je vous envie de découvrir l’inoubliable Vertigo Kulbertus !
Ainsi que Ah, les braves gens ! sorte de roman d’aventures et d’enquête dans un petit village à la frontière franco-belge qui n’aurait rien à envier à Twin Peaks ni à l’univers de certains films des frères Coen, avec un côté méta, un peu comme si Bartelt nous racontait précisément comment écrire un bon roman d’aventures. Un polar bien plus déjanté que l’Hôtel du Grand Cerf, mais qui m’a beaucoup plu.
En ce début d’année, je viens de relire consécutivement le Jardin du bossu, le Fémur de Rimbaud, Hôtel du Grand Cerf, Un flic bien trop honnête, Ah, les braves gens !, le Costume, et Charges comprises. Série en cours. Tous sont très différents mais valent largement la lecture.
Car Bartelt est un auteur extrêmement prolifique qui a construit une œuvre variée ; capable de publier aussi bien dans la Blanche que dans la Série Noire, au Dilettante, ou encore dans la série Le Poulpe, et de s’essayer au théâtre ou à la poésie. C’est également un novelliste de très grand talent. Ce qui fait que l’on ne s’ennuie jamais.
J’espère vous avoir transmis l’envie de découvrir l’univers de Franz Bartelt.
Puissé-je avoir été pour vous ce que Jean-Marc, libraire au Cadran Lunaire à Mâcon, fut jadis pour moi.
Un livre à lire avant l’apocalypse nucléaire, mais tardez pas trop quand même …
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Le Jardin du Bossu, Gallimard, coll. « Série noire », 2004 ; réédition, Gallimard, coll. « Folio policier » no 434, 2006
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