Un récit du concert de Sanseverino au bar le Coquelicot à Fougères le 20 octobre 2023*
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Il y a des moments hors du monde, des instants magiques quand le temps est suspendu et que l’on oublie tout, l’horreur du quotidien, la merde environnante, les attentats, les crimes de guerre, le deuxième tiers provisionnel, le chou-fleur et ce méchant crachin qui s’annonce. Tout, je te dis.
Vendredi soir, les murs de la cité médiévale de Fougères ont tremblé sous les hourras des spectateurs de Sanseverino. Faudra pas venir se plaindre après si le château n’est plus le plus grand d’Europe ou si le beffroi a rapetissé de deux mètres.
Dans une toute petite salle (Le Coquelicot, sorte de « Honky Tonk du Tank » de la gauche bobo), nous étions 70 personnes entassées dans moins de 50 m², frères et sœurs serrés épaules contre épaules comme pour un affrontement avec des CRS. Les poutres suintaient, le khôl coulait, des milliers d’hectolitres de sueur, vapeurs éthyliques et autres sécrétions corporelles non identifiées sourdaient des blocs de roche granitique qui compose les cloisons de la taule (oui, c’était un mur porteur d’images poétiques).
Bref, il faisait au moins 40°C dans le sauna associatif avant que le concert démarre, pourtant aucune Nénette n’était à sa fenêtre pour me crier « T’en fais pas mon homme, j’irai te chercher là-bas ! ».
Après avoir brillé dans différents styles (jazz manouche, jazz en big band, rock, bluegrass, blues, tango, etc.) sans jamais se départir de ses textes finement ciselés, Sanseverino reprend désormais le répertoire folk de son idole François Béranger en solo sur scène.
François qui ? Béranger, mon biquet, un chanteur libertaire des années 70 un peu oublié aujourd’hui mais dont les textes sont toujours aussi corrosifs envers les puissants. Dérangé, Bérangeant ? Dérangeant, Béranger !
De mémoire de Zantrop, j’ai toujours entendu Sanseverino dire en interview qu’il voulait faire un album hommage à Béranger, dont il avait déjà repris plusieurs morceaux au fil de ses propres albums. C’est maintenant chose faite, et par deux fois.
Ce vendredi là, tout le gratin de Fougères était présent (c’est pas une recette végane, c’est un façon de parler). Il y avait là du beau linge, des notables, et deux ou trois malfrats convenables, bien habillés.
À vue de pif, mais je ne crois pas trop me tromper, la sociologie de la salle se répartissait entre purs fans de Sanseverino et vrais amateurs de Béranger, plus les habituels deux ou trois gros cons avinés irrespectueux qui beuglent leurs balbutiements pré-veisalgiques pathétiques depuis le fond de la salle.
À 22h15, il déboule un drôle de loufiat avec un banjo dans le dos.
C’est Sanseverino qui entre en scène, beau comme un prince slave, un genre de Limonov mastoc en chemise rouge, lunettes à grosse monture jaune et boucles de pirates fluorescentes.
Sansev’ (comme on disait avec mon copain Vivien il y a 15 ans pour montrer qu’on était des connaisseurs) va mouiller la chemise pour que ses doigts nerveux longs et secs puissent courir dans les cordes comme Zatopek pendant bien une heure et quart.
On (je ?) découvre alors des textes brillants, drôles, touchants et contestataires, et qui swinguent méchamment.
Et interprétés de façon passionnée par un Sanseverino qui y met tout son cœur.
Un gus protégé par la foule se croit malin de crier « Michto la pompe ! ».
(En fait, c’est moi. Je sais pas toi mais moi j’aime bien ce petit son de guitare. On peut pas tout détester dans la vie)
Tout au long du set, Sanseverino commente les morceaux, les remet dans le contexte de l’époque, se moque de sa propre façon de jouer ce soir, place un doigt d’honneur adressé à quelqu’un qui me rappelle… ah ! Je sais plus son nom ! Immonde, vulgaire, fasciste, cruel et con.
Sur l’intro du Tango de l’Ennui par exemple, le « S » se voit obliger d’expliquer à maintes reprises à son auditoire inculte la différence entre tango et paso doble.
(Une de mes sources m’a confirmé qu’il avait chambré Fougères le lendemain à Lorient. Fougères, la risée de la Bretagne ? ça se paiera au match retour.)
Acteur gouailleur, chanteur hilare et hilarant, guitariste talentueux, bonhomme détendu, être humain adorable, proche de son public, il explique qu’il donne le meilleur à chaque concert car il sait d’expérience que c’est – probablement – le dernier pour quelqu’un.
Il joue autant avec sa guitare qu’avec les conventions d’un concert. Même le passage obligé du rappel est prétexte à blagues.
Puis vers 23h30, fin du show. La salle se rallume, saluts à la foule, on remballe et on se dirige vers le bar.
Tel un saumon en période de reproduction, aussi facile à repérer que 4 flics en civil en train de planquer dans une BM grise banalisée, je remonte le courant pour aller saluer l’artiste qui range son matos.
On a eu juste le temps de discuter de la SNCF et de ses wagons à baston, de l’ambiance formidable des toutes petites salles de concert, des foules hétéroclites qui les fréquentent, et puis du théâtre d’Hérouville-Saint-Clair ; narvalo que je suis, j’ai oublié d’évoquer Papillon.
Mais j’ai pensé à lui dire que j’aimais sa musique.
C’est déjà ça.
Vite, maintenant, on rentre à la maison redécouvrir les excellents textes de Béranger.
Ci-dessous une ébauche de setlist (pas sûr de l’ordre et pas sûr que j’en ai pas oublié. Ou rajouté)
*Plusieurs références et emprunts à des chansons de Sanseverino se sont glissés dans ce texte. À vous de les retrouver.