Vendu comme un « film de youtubeur », Le Manoir avait à peu près tout les arguments pour nous faire fuir. Et pourtant, le film de Tony Datis s’avère être une comédie bien plus originale que le tout venant de la production française.
Le Manoir, c’est la première tentative cinématographique d’une troupe née du web. Réunissant la majeure partie du Studio Bagel, collectif de comédiens parmi lesquels l’on peut citer Jérôme Niel ou encore Ludovik, ce premier métrage a la lourde tâche de montrer que des figures importantes du web peuvent finalement s’imposer sur le médium traditionnel qu’est le cinéma. Et contre toute attente, le pari est réussi. Le film scénarisé par Kemar et réalisé par un ancien du Studio Bagel, Tony Datis, pour qui c’est aussi la première tentative sur le grand écran, est une petite pépite, qui malgré de nombreuses maladresses, est définitivement attachant.
Une vraie envie de cinéma
Dès les premières images, le film annonce la couleur. La première scène plutôt horrifique, séduit par son rythme et ses éclairages. Fini les sketchs sympas et un peu fauchés du Studio Bagel, Tony Datis nous annonce qu’il veut faire un film, un vrai. C’est ainsi tout au long du métrage qu’on note l’attention porté aux univers visuels, aux décors, à l’éclairage, mais aussi au montage qui tout de suite font passer Le Manoir au rang de ces beaux objets qu’on peut avoir plaisir à voir, ne serait-ce que pour l’esthétique.
C’est en cela que le film se différencie immédiatement des petites comédies produites par TF1 pour le prime du dimanche soir. Loin d’être dans la simple illustration, Tony Datis propose un vrai point de vue d’auteur, rendant hommage aux maitres de l’horreur par le prisme de la comédie, dans un film hommage qui rappelle ô combien la comédie peut s’allier à perfection avec le cinéma de genre.
Un mélange des genres assez bienvenu
On a tendance à souvent l’oublier mais s’il y a bien deux genres qui sont parfaitement complémentaires, c’est bien l’horreur et la comédie. On pense à des auteurs comme Sam Raimi, qui a réussi, dans sa saga Evil Dead à passer avec une aisance bluffante d’un style à l’autre, alternant gros moment de flippe et séquences gores cartoonesques. Sans le comparer au maitre, c’est un peu dans ce sens que va Le Manoir. Pas du tout montré ou mis en avant dans la promo, le film contient de vraies séquences horrifiques et gores particulièrement efficaces, qui permettent de souligner des gags absurdes et loufoques qui restent au final ceux qui font le plus souvent mouche. Tony Datis prend même parfois le gore et l’horrifique très au sérieux, arrivant à tirer le mieux parti d’un décor vu et revu (la maison hantée) à travers quelques bonnes trouvailles visuelles efficacement développées.
C’est d’ailleurs dans sa dernière partie que le jeune réalisateur montre toute sa passion pour le genre, qui l’intéresse visiblement plus que la comédie, en livrant un climax final over the top, qui, à coup-sûr, est parmi le plus gore que j’aie pu voir dans un film français. Et ça fait du bien !
Côté comédie, ça se gâte en revanche un peu
Vous l’aurez compris, c’est finalement la partie horreur qui emballe le plus. Là où on pouvait craindre un côté cheap et mal branlé, Tony Datis dépasse le peu d’attente que l’on avait, au risque de laisser tomber le coeur du film, la comédie, qui malgré quelques moments assez géniaux et jamais vus, à plus de mal à convaincre. On citera notamment une scène de strip-tease complètement malaisante (mais très drôle) et un final hallucinatoire qui pousse le délire référentiel aux années 2000 jusqu’au bout.
Il faut peut-être aussi voir dans ses défauts un syndrome de ce film collectif, aux prestations inégales, avec des acteurs plus ou moins à l’aise dans leur jeu, dès que cela sort des sentiers battus. Les blagues beaufs et en dessous de la ceinture sont réservées à un Mister V franchement sous exploité, tandis que les personnages féminins ne sont guère passionnants et laissent peu de marge de manoeuvre à leurs interprètes. Et puis, il y a des révélations. Le timing comique d’un Ludovik qui sort de son rôle de connard pour celui d’un grand coincé, assez jouissif, et surtout Vincent Tirel, qui vole chaque scène où il apparait.
Les faiblesses d’autres acteurs se révèlent également lors du twist final, astucieux mais qui aurait pu être amené avec plus d’indices tout au long du scénario.
Au final, Le Manoir est une tentative courageuse de sortir des sentiers battus de la comédie française, proposant un film qui assume tous ses partis-pris, du gore au trash, s’aliénant au passage une partie de son public de base, plutôt jeune, pour qui le métrage n’est clairement pas pensé (donc n’amenez pas votre neveu de cinq ans, sérieux). Si Le Manoir n’est ni un futur classique, ni un exercice de style parfaitement exécuté, c’est peut-être le film qui aurait pu donner confiance à des producteurs pour confier (enfin) des budgets à des créateurs venant du web. C’est dès lors dommage que le film semble parti pour se prendre un four au box-office. Alors, allez voir Le Manoir et encouragez la production française qui tente des nouvelles choses !