… étant appelé à s’émouvoir…
« Rien ne sera plus jamais comme avant »
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Et si on s’écoutait, dans l’ordre de leur parution, tous les albums studio d’Hubert-Félix Thiéfaine ?
Histoire d’explorer son œuvre telle qu’elle a été livrée au public, depuis plus de 45 ans ?
Pourquoi ?
Parce que c’est un artiste à part que j’aime beaucoup (trop, et de manière incompréhensible selon certaines personnes de mon entourage), assez mystérieux et se tenant loin des médias; parce que ma mère m’en parlait parfois de manière intrigante; parce que ses textes me fascinent depuis que je l’ai découvert; et parce qu’au-delà des innombrables tubes, il y a aussi des pépites à (re)découvrir.
Pour toutes ces raisons, j’ai envie de vous parler d’Hubert-Félix Thiéfaine.
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Épisode #1 : … tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir…
Avertissement : Pour pénétrer l’œuvre d’HFT, « il te faudra sans doute changer de tête et puis brancher ton cerveau sur ton cœur ».
Ce premier album d’Hubert-Félix Thiéfaine sort en 1978, après plusieurs années de galère. Produit pour l’équivalent de 50 000 Fr. de l’époque, HFT est accompagné par un certain groupe Machin chouette (c’est pas que je me souviens plus du nom, c’est une manière de dire que je les trouve cool ; le « chouette groupe Machin » si tu préfères).
Album classé folk, mais avec des incursions rock, blues, et même reggae (bon allez, faut pas pousser).
Vrai chroniqueur musical – que je ne suis pas, prend-il le temps de préciser alors que c’était plutôt évident jusqu’ici – dirait que « Toute la discographie de Thiéfaine est déjà contenue en germe dans ce premier album – absolument », avant de sortir vapoter un infâme mélange nicotine-barbapapa et d’aller chercher Augustin et Ésmée à leur atelier « gestion des émotions et culture du Quinoa ».
Les thèmes de prédilection d’Hubert-Félix Thiéfaine sont : la mort, la drogue, la folie, la mélancolie, et l’amour (dans le désordre). Tout pareil que moi si tu rajoutes en plus le saucisson d’âne le géocaching et le macramé !!
Ses morceaux regorgent de références littéraires et d’images saisissantes. Le « T » est doté d’un imaginaire puissant, prenant sa source à la croisée de ses lectures et de ses rêves, et probablement boosté par la consommation de substances psychotropes.
(On ne m’ôtera pas de l’idée que ce « probablement » est superflu et que le chroniqueur a des pudeurs de gazelle. Thiéfaine n’a jamais caché avoir eu une vie nocturne à la Las Vegas Parano que n’auraient pas reniée les auteurs de la Beat Generation.)
Mais Thiéfaine c’est aussi beaucoup d’humour (noir, absurde, loufoque), de jeux sur les mots, de trouvailles littéraires. Son œuvre fourmille d’idées géniales et très inventives.
Son refus catégorique de l’autorité (scolaire, militaire, religieuse, politique…) son goût affirmé pour la solitude ne me le rendent que plus sympathique.
Hubert-Félix Thiéfaine pour moi, c’est avant tout des textes brillants avec des images poétiques qui me parlent même si je ne les comprends pas. C’est un peu comme regarder un tableau : ce n’est pas parce que je ne maîtrise pas tous les codes de la peinture que ça ne peut pas me provoquer des émotions fortes.
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Premier album, et déjà des morceaux aux titres incroyables.
(On notera au passage, et de manière indéniable jusqu’à nos jours, qu’HFT affectionne les chiffres dans les titres de ses chansons.)
Alors, que vaut l’album track-by-track ?
Ça démarre par L’Ascenseur de 22h43, une idée que je trouve tout simplement géniale. L’ascenseur tel une ligne de bus, quelle idée ! et puis déjà beaucoup de folie et d’images saisissantes.
Un morceau en deux parties, qui ouvriront chacune des faces du 33 tours.
« J’arriverais par l’ascenseur de 22h43 et je viendrais relever le compteur de ton ennui ».
Tout un programme. Un banger à mes yeux.
La Fin du Saint-Empire romain germanique est une chanson autobiographique assez ironique sur une ambiance un peu country / cowboy qui est due à la présence d’un banjo.
Elle nous parle de la société dans l’immédiat après-guerre et de la nécessité du réarmement démographique, dont HFT serait le pur produit.
À ne pas louper également, son couplet délirant en « pseudo-latin » sur la fin.
« Je suis le fils d’une société fondamentalement épuisée »
Je t’en remets au vent (mais quel titre !) : ou le portrait de l’artiste maudit en couple. On change de délire avec ce morceau dans lequel Thiéfaine se fait plus sérieux et romantique.
Selon Wikipédia, c’est l’une de ses premières compos alors qu’il était étudiant, et pas encore en couple.
« à mettre sa vie en musique, on en oublie parfois de vivre »
Tout sentiment d’identification étant purement fortuit.
La Maison Borniol : autre portrait cette fois, celui d’un croquemort alcoolique.
Humour noir garanti avec cette fable sur un sujet plus tragique qu’on ne le pense : Les employés des pompes funèbres sont-ils condamnés à souhaiter la mort des gens ? Un croquemort a-t-il le droit d’avoir des rêves d’expansion mercantile ?
« Les temps sont durs, c’est pas mariole, vivement que revienne le choléra… »
La Cancoillote : Les Machins sortent les violons pour inviter l’auditeurice à une sorte de danse traditionnelle dans laquelle Thiéfaine vante les mérites de ce produit régional avec un accent franc-comtois.
Une blague donc, dont le refrain te rentres dans la tête pour toute la journée. La can-can-cancoillotte…
« Te faut touiller ça c’est sûr, sinon ça devient de la confiture »
L’Ascenseur de 22 h 43 (Part.2): Suite et fin du parcours de l’ascenseur, qui se terminera en apocalypse avec alarmes et sirènes.
« Désormais, vous êtes invités à laisser l’État dans les WC où vous l’avez trouvé en entrant »
Nonobstant (pas sûr que ce soit comme ça que ça s’utilise, mais je nonobste où je veux), nonobstant donc, une question me taraude :
N’auriez-vous pas oublié de lui faire envoyer la liste des erreurs constatées au F756 du 72/03/10 ???
Première descente aux enfers par la face nord débute comme une messe avec son orgue et sa liturgie en latin, puis devient un morceau plus rock que les précédents sur un texte antimilitariste, qui finira par une réinterprétation d’une souris verte qui fera rire les enfants (non).
« Ce soir je sais que Dieu / est un fox à poils durs »
22 mai : Un morceau d’une grande richesse musicale qui présente l’histoire complètement loufoque de séminariste à moto (j’ai bien dit : à moto), avec un texte comme un énoncé de problème mathématiques.
Cette chanson vous apprendra ce qui fut l’évènement le plus important de ce mois de mai 1968.
Un bijou à mes yeux.
La Dèche, le twist et le reste: Retour sur terre, et sur une rythmique blues jouée au piano ; on retrouve ici la thématique amoureuse de je t’en remets au vent, version alcool, drogue et sexe.
« Twiste et chante, moi je flippe »
C’est beau et triste.
La Fille du coupeur de joints : Faut-il vraiment que j’en parle ? LE TUBE qui a fait que l’album s’est vendu et que Thiéfaine a fait parler de lui. Pas forcément mon morceau préféré (posture de chroniqueur de merde qui se donne un genre) mais un classique inévitable quand même (Idem).
« … on pédalait dans les nuages au milieu des petits lapins … »
Le Chant du fou
(Non cette chanson ne parle pas de Charles Trénet.)
Un morceau plus posé pour finir, très émouvant, avec une belle montée en puissance et des guitares planantes, pour « chercher une vérité par-delà l’espace ». Des paroles sibyllines chantées par un fou.
« ta tête tombe de son socle de rêves »
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Un premier album hétéroclite avec des styles variés qui ne mettront certainement pas tout le monde d’accord, mais qui offre déjà un style bien affirmé et une personnalité marquante. Perso, je suis conquis.
Jusqu’ici, et avant d’avoir écouté les autres, c’est mon album préféré de Thiéfaine. Et toi ?
Je retiens de cet album pour ma playlist « pépites » le morceau 22 mai, pour son texte absolument délirant et sa musique. Je la complèterai au fur et à mesure.
C’est terminé pour aujourd’hui, vous pouvez débrancher votre cerveau de votre cœur et reprendre une tête normale.
Jusqu’à l’album suivant.