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On dirait que le banc m’attend. J’ai toujours cette impression curieuse quand j’arrive au début du boulevard et que je le vois, abîmé, posé de travers entre ces deux arbres morts et en cage. Je ne lui rends plus visite très souvent, mais les rares fois où je viens, il me gratifie d’un bienvenue tacite : « A quoi allons-nous penser aujourd’hui ? ».

Je n’ai jamais vu personne assis sur ce banc à part moi. A part nous. Il est recouvert d’une peinture bleu nuit qui s’écaille ; tu sais, cette foutue peinture qui colle au bout des doigts et que tu ne peux pas retirer autrement qu’en frottant très fort. Tu t’en plaignais tout le temps.

Rapide coup d’œil à la montre ; l’atmosphère ne m’a pas trompé. Il est l’heure que je déteste le plus, lorsque le soleil allonge les ombres, teinte tout de ce jaune immonde. Lorsqu’il est hélas trop tard pour commencer quelque chose et pourtant trop tôt pour penser à demain. Mais toi tu l’aimais, cette heure-là, cette ambiance-là. Et elle m’est d’autant plus insupportable qu’elle me rappelle sans cesse toi.

Comme tout ici. Les tramways au creux desquels je crois toujours t’apercevoir. Les parapluies sous lesquels je crois toujours te deviner. Le parfum d’un pain au chocolat, une chaise en terrasse, un rire qui ressemble au tien ou un long manteau qui bruisse. Je vis dans un monde cruellement familier et totalement étranger à la fois, où tout n’est plus que ruine et poussière d’une époque révolue.

La nuit tombe ; je fais enfin mes adieux et me lève pour partir. Cet éternel sentiment de solitude accompagnera mon retour. Tu me manques. Est-il possible de se sentir aussi seul dans une ville si pleine de visages et de bruits ?

J’ai les paumes couvertes de paillettes bleues.

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