WHISKY OR NOT WHISKY #45 / BARON NOIR (SAISON 3)

Co-créée par Eric Benzekri, la troisième saison de Baron Noir a débuté ce lundi 10 Février sur Canal Plus. Tel un très bon whisky qui murit avec l’âge, ces huit nouveaux épisodes affinent avec justesse une série très bien écrite, tant au niveau de ses protagonistes comme de son scénario de « politique-fiction » si proche de la réalité…

Philippe Rickwaert (Kad Merad) endosse à nouveau le costume. Tout juste rééligible, son objectif n’est pas des moindres : gagner la prochaine présidentielle. Mais le parcours sera long, d’autant plus que l’image de l’ancien député PS est grandement ternie. Rickwaert, c’est le « truand » d’un « ancien monde » que l’on compare à un personnage de film de mafieux. Avec l’aide d’une communicante de renom, Naïma Meziani (Rachida Brakni), Rickwaert change alors de stratégie. L’heure est aux alliances et aux trahisons pour parvenir à son but…

Pendant ce temps, notre pays – fragmenté comme jamais – est le témoin de grandes fractures sociales, entre colère populaire et septicisme dans nos croyances en une démocratie représentative.

Amélie Dorendeu (Anna Mouglalis) gouverne toujours et a fondé un nouveau parti, La France Unie. Un mouvement type LREM qui oscille vers un « progressisme » néo-libéral. A l’heure des régionales, la côte de popularité de la présidente est au plus bas. Les populismes s’invitent à la table des négociations, affaiblissant peu à peu ce gouvernement de centre-droite qui n’a plus rien de socialiste. D’un côté, il y a le RN de Chalon (Patrick Mille). De l’autre, il y a l’émergence d’une nouvelle gauche, une « révolution citoyenne » incarnée par le parti Debout Le Peuple dirigé par l’autocrate Michel Vidal (François Morel).

Au moyen d’un traitement anachronique assez troublant, Baron Noir témoigne avec intelligence – et un certain recul – de notre propre situation sociétale. Plus que jamais, Eric Benzekri reste au plus près du réel, qu’il s’agisse de façon purement dramatique comme de manière assez didactique.

Narrativement, la série recentre son intensité sur le duo Rickwaert/Vidal, un duo servi par des acteurs crédibles et sincères. Je pense notamment à François Morel dont le personnage s’inspire de Mélenchon, et qui est très loin d’être un simple ersatz du politicien de La France Insoumise (FI). Mieux, cette nouvelle saison n’en oublie pas pour autant sa pleïade de personnages secondaires, tous plus attachants les uns que les autres. Pour ne citer qu’eux, on retrouve donc avec un certain plaisir Cyril Balsan (Hugo Becker), Daniel Kahlenberg (Philippe Résimont) ou bien encore Véronique Bosso (Astrid Whetnall). A vrai dire, nous sommes d’ailleurs aux antipodes de la caricature que pouvait nous proposer la saison 2, plus archétypale dans son écriture ou plus cabotine dans le jeu d’acteur.

La grande réussite de cette troisième saison vient également du fait suivant : elle parvient à calquer son scénario sur ce que nous vivons actuellement en termes de décomposition du politique. L’enjeu reste – entre autre – de nous montrer le poids moral et humain des coalitions hypocrites à court terme, et la grande désillusion des militants. A travers une mimesis surprenante, ces huit nouveaux épisodes soulignent avec étrangeté l’importance des discours démagogues qui prennent une envergure hors norme via Twitter ou encore YouTube (il suffit pour cela d’observer le personnage de Christophe Mercier).

De manière plus didactique, et au moyen de dialogues ampoulés, c’est le sens même de ce qu’on appelle la « gauche » qui est remis en question. Non sans surprise, les thématiques d’une VIème République ou d’un référendum du peuple reviennent sur la table, mettant en avant les profondes divisions qui animent nos partis (je pense à FI, Génération.s et le PS en tête). On nous cause également de laïcité, de Frexit et de « réunions non mixtes et racisées » à la Fac… Autant de sujets qui alimentent ce même débat entre deux visions de la gauche. Or, et dans Baron Noir, c’est bien la vision universaliste de Rickwaert (une République sociale et parlementaire basée sur la mixité scolaire) qui s’oppose à celle de Vidal, plus focalisé sur la sortie des traités européens, et dont l’attitude égotique ne garantit pas le bon fonctionnement de sa « Constituante » collégiale.

La seule chose à laquelle nous avons du mal à adhérer est le fantasme d’une situation géopolitique nouvelle pour la France, une vision prônée par Dorendeu qui sent le vent tourner au sein de l’UE. En effet, nous croyons moyennement à son concept de « Françallemagne » fondée sur l’écologie et le Green New Deal, alourdissant par là un scénario déjà copieux.

Pour ces multiples raisons, je vous recommande donc de « binger » cette saison 3 de Baron Noir qui s’érige comme étant notre House Of Cards à la française. C’est une série maîtrisée, instructive et documentée, où nous parvenons cependant à nous identifier aux personnages avec une empathie touchante. Baron Noir est également une série qui a le mérite de réinstaller le monde des idées au cœur de la politique. Or, et plus que jamais, l’heure est venue de revenir à l’idéologie au-delà de la personnification de la fonction présidentielle. C’est d’autant plus urgent lorsque cette personnalisation jupitérienne témoigne au final d’un très grand vide, sans aucune identité de droite comme de gauche…

J.M.

« C’est l’heure des grandes gueules, des cabossés, des courageux. C’est mon heure à moi » (Philippe Rickwaert)

Baron Noir (actuellement sur Canal Plus et disponible sur MyCanal)

 

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