LA PEAU DE FOENKINOS

 La limite entre l’indifférence et la haine tient à la masse critique. Pour un écrivain ça se compte en nombre d’exemplaires vendus. Passée une certaine limite, on devient trop voyant pour que ceux qui pensent se dispensent d’avoir un avis.


David Foenkinos a écrit 7 livres avant La Délicatesse, « le roman aux dix prix littéraires », écoulé à plus de 100 000 exemplaires depuis sa parution en poche. Et pendant 7 livres on l’a laissé tranquille, vivoter. Il n’était pas assez signifiant. Mais depuis quelques mois, le garçon déchaîne les passions. Yann Moix et Eric Chevillard ont chacun consacré un long article pour décrire à quel point la littérature de Foenkinos est médiocre, fade, creuse, sans intérêt. Pendant ce temps, Gallimard a réussi à faire inscrire Les souvenirs, le dernier roman de David, sur les listes des prestigieux Goncourt et Renaudot. Comme l’année dernière en fait.

La bataille entre les pour et les antis fait rage, alors que sort pour Noël l’adaptation ciné de La Délicatesse (écrit et co-réalisé par). Autant dire qu’on a pas fini de voir David sur les plateaux, et les critiques qui vont avec. C’est peut-être le meilleur moment pour décortiquer les mécaniques d’indignation et de jalousie qui viennent avec le succès.

Par honnêteté intellectuelle je dois reconnaitre que j’ai un léger mépris pour La Délicatesse. Par fierté je dois faire remarquer que j’ai détesté le livre avant que ce soit cool de détester ce livre. Ce pour dire que je n’ai été influencé que par mes propres goûts. J’ai trouvé l’histoire facile et appât à midinettes (une belle femme s’entiche d’un homme médiocre envers et contre tout), le style pas assez courageux (l’auteur explique ses blagues au lieu de faire confiance au lecteur) et la forme trop pauvre (les sauts de page ne masquent pas le fait qu’il s’agit d’une longue nouvelle). Un avis partagé par Moix, Chevillard et d’autres. Pendant ce temps, le livre a doucement séduit des dizaines de milliers de lecteurs, dont des amis proches, qui m’ont avoué à quel point ils avaient été touchés, séduits.

L’intelligentsia contre, les vrais gens pour, on se retrouve dans une situation proche de Marc Levy et ses potes. SAUF QUE. Sauf que David Foenkinos est publié dans la prestigieuse collection Blanche de Gallimard et que ses livres sont sur moult listes de prix littéraires.

La dissonance cognitive, c’est quand on sait deux faits incompatibles comme vrais, et que ça nous plonge dans un état de tension. Foenkinos écrirait de la littérature bas de gamme, pourtant il est en passe d’être reconnu comme un auteur de qualité. Nos amis critiques se retrouvent donc en pleine dissonance, et donc en tension, et donc dans la réaction contraire opposée : la haine.

Il est évident que pour des auteurs et critiques de renom, ce n’est pas facile de se retrouver en compagnie de quelqu’un qu’ils considèrent comme inférieur. Alors ils lui tapent dessus, sur lui, sur son œuvre. Parfois c’est fait avec talent, souvent c’est surtout un peu sinistre. Là où ça coince, c’est que cette attitude est contreproductive. Plus Foenkinos se retrouve roué de coup, plus il aura besoin d’être rassuré. Sachant qu’on part d’un type assez flippé pour avoir écrit un roman qui s’appelle « Qui se souvient de David Foenkinos ? ». MALAISE.


Plus on dira de lui qu’il est mauvais, et plus il demandera à son éditeur de le placer dans des prix littéraires (les premières sélections étant « suggérée » et un éditeur ne dira pas non à son meilleur poulain). Les haters de David ne font que le pousser toujours plus dans une quête de légitimité. Le serpent se mord la queue. D’autant que l’auteur n’est jamais le fond du problème.

« Pourquoi les gens aiment ce qu’il fait lui et pas ce que je fais moi, alors que ce que je fais c’est mieux ? »

Ils pourraient dès lors taper sur le lectorat, cette plèbe qui se complait dans la médiocrité et qui ne sait pas ce qui est bon. Sauf qu’on se moque des lecteurs de Guillaume Musso depuis dix ans et ça n’en a découragé aucun. Pire, la persécution blinde toujours la cible. On dit que je lis de la merde, j’aime d’autant plus ce que je lis parce que c’est ce que JE lis justement.

Taper sur Foenkinos ne fait que lui donner encore plus faim, taper sur ses lecteurs ne fait que leur donner encore plus faim. Pas simple. Que reste-il à faire ?

Bosser.

Si l’on pense vraiment être capable de mieux, alors il faut faire mieux. Si on trouve un livre naze et populaire, alors il faut faire le même bouquin mais en bien et populaire. L’éducation culturelle et l’élévation des masses, ça passe par la carotte, pas le bâton. La littérature est un sport comme un autre. Quand quelqu’un vous dépasse, vous n’allez pas le faire devenir moins bon et aimé en le pointant du doigt, mais en le rattrapant, en le dépassant, en lui volant ce qu’il a. Forcément c’est moins simple, ça demande de l’énergie et du risque.

Je n’aime pas ce que fait David Foenkinos. J’ai réprimé des moues de mépris face à des amis. J’ai même fait des blagues douteuses à son sujet. Puis j’ai réalisé que je pouvais faire mieux. Que je pouvais le battre à son propre jeu. Alors j’ai commencé par me taire, puis j’ai respecté le bonhomme, son travail, son lectorat.

Toute ma colère, ma prétention et mon énergie, je la mets dans ce que j’écris à côté, pour rejoindre la partie au lieu de la commenter.


Game ON David.

2 commentaires

  • Paquerette
    Paquerette

    Très bien vu!

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  • Djoul9
    Djoul9

    Article lu tardivement mais apprécié, merci.

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