L’Éducation Nationale tue Les Grands Classiques Littéraires

« Ce mois-ci, nous allons étudier un des Grands Classiques français ! »

Putain ce que j’ai pu redouter cette phrase, à 13 ans, assis sur une chaise en bois, devant un bureau richement sculpté à l’aiguille de compas, dans mon petit collège de campagne… Parce que c’est vrai qu’à cet âge-là, les Grands Classiques c’est Molière, c’est Victor Hugo ou Shakespeare. Mais, dans notre univers de collégien, on n’a rien vécu, on ne comprend rien et on a bien d’autres envies. Je défie quiconque de me trouver un adolescent, entre 12 et 14 ans, qui puisse me dire droit dans les yeux : « Au bahut, on est sur « Le Cid » et franchement c’est trop bien ! ». Non à 13 ans « Le Cid » c’est pas bien, c’est chiant à mourir !

« Ce qui détourne le plus grandement les enfants de la littérature, c’est l’école. »

disait l’immense Romain Gary, paix à son âme (oui, il est mort il y a plus de 40 ans mais il n’est jamais trop tard pour rendre hommage aux monstres sacrés). Les choix littéraires de l’éducation nationale sont sans doute discutables, mais le fait est également que lorsqu’on lit un livre pour rendre une fiche de lecture à Madame Bouzique, ce n’est pas la même chose que quand on lit pour soi. N’en déplaise à ladite Madame Bouzique, et avec tout le respect dû à son rang, il me faut lui rappeler que la littérature est un voyage. Et avant d’emmener un enfant à l’autre bout du monde, on le prend par la main pour lui apprendre à marcher, on fait de courts trajets pour ne pas le dégoûter de la voiture, on procède progressivement et avec tact pour ne pas lui donner le mal des transports. Imposer des lectures à des mômes, qui plus est souvent trop ardues pour leur maturité, est une erreur. Il faut inviter à la littérature, et induire l’intérêt qui en découle. Quitte à commencer par la biographie de Kilian MBappé ou de Jul ! Mais pourquoi pas ?!?

Aujourd’hui, arrivé (très récemment…) à l’âge adulte, je lis tous les jours. Tout simplement parce que je sais ce que je recherche dans les bouquins, et surtout parce que je vois ce qu’ils m’apportent au quotidien. Et c’est maintenant que je m’aventure dans les Grands Classiques, que je comprends ce que les auteurs ont à m’offrir. Pour illustrer mon propos, je ne vais citer qu’un ouvrage. Un texte très court, susceptible ainsi de ne pas révulser les réticents. Il s’agit du chef d’œuvre de Ernest Hemingway : « Le vieil homme et la mer ».

 » Tous les bons livres sont pareils. Ils sont plus vrais qu’aurait pu l’être la réalité. »

Ernest Hemingway

C’est l’histoire de Santiago, un vieux pêcheur cubain désargenté et délaissé par ses confrères sous prétexte qu’il est malchanceux. En effet, il vient de passer 84 jours en mer sans attraper un seul poisson. Même son jeune ami et apprenti Manolin, sous l’influence de ses parents, est parti pêcher sur un autre bateau et rencontre ainsi plus de réussite. Le 85ème jour, le vieil homme s’éloigne du golf avec la ferme intention de prouver aux autres qu’il n’est pas le loser que tout le monde soupçonne. Et effectivement, le plus gros marlin que personne n’ait jamais vu finit par mordre à sa ligne. S’en suit un combat épique de 3 jours et 2 nuits dont Santiago finira vainqueur. Le poisson étant beaucoup trop gros pour être hissé sur le bateau, le vieil homme doit se contenter de l’amarrer à l’embarcation. Malheureusement, cette prise qui devait relancer la bonne fortune de Santiago, sera entièrement dévorée par les requins pendant le trajet du retour jusqu’au port.

Ce roman d’à peine plus de 100 pages, indéniablement l’un des Grands Classiques américains, est écrit comme une fable, presque un livre pour enfant. Il se lit très facilement et très rapidement. Avec un style dépouillé et direct, Hemingway nous emmène dans un conte où le courage d’un homme ne peut rien contre la grandeur et la cruauté de la nature. Mais évidemment, cet ouvrage est beaucoup plus profond et possède plusieurs degrés de lecture. Je suis même persuadé qu’il est nécessaire de le lire plusieurs fois pour en relever toutes les subtilités. « Le vieil homme et la mer » parle du courage, de la fatalité, de la transmission du savoir, du dénuement de l’être humain devant l’immensité et la puissance de la nature. C’est un roman aussi beau que triste.

Le Petit Prince

On ne peut pas, à mon sens, passer à côté de la comparaison avec « Le petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry. Les deux écrivains étaient d’ailleurs des contemporains même si, à ma connaissance, ils ne se sont jamais croisés. Toujours est-il que « Le petit Prince », comme « Le vieil homme et la mer », est un court récit dont la substance essentielle est à chercher entre les lignes. Les plumes de Saint Ex et d’Hemingway se croisent, se décroisent et finissent par s’assembler devant nos yeux pour nous apprendre la beauté, la fragilité et l’absurdité de la vie.

Tout est dans les livres. Nul n’est besoin d’être riche et de voyager lorsque l’on possède une bibliothèque fournie. Les Grands Classiques, qui étaient une source d’angoisse posée sur nos épaules de petits êtres en culottes courtes, deviennent des guides à l’aune de l’expérience. Il faut les posséder, les apprivoiser et surtout les laisser à portée de main de nos enfants, sans jamais les ériger en passages obligés. Laissons notre jeunesse se forger avec les passions de son temps. Elle y viendra tôt ou tard et comprendra à son tour, avant de transmettre aux générations futures les trésors littéraires du passé.

Bureau d'écolier

7 commentaires

  • Hadrilenain
    Hadrilenain

    Je reconnais que lorsque c’est mal fait (notamment lorsque les choix d’œuvres sont inadaptés) les cours de français peuvent dégoûter d’un classique. Cependant, il ne faut pas oublier que l’école constitue pour bien des jeunes la principale, voire la seule, porte d’entrée culturelle et leur seule occasion d’avoir accès aux classiques. Je pense que le bon professeur n’est pas celui qui transmet le savoir (le savoir s’acquiert principalement seul en vérité) mais celui qui donne envie de l’acquérir. Donc oui, le rôle de l’école est bien de pousser les élèves à lire des livres hors de leur univers familier pour les ouvrir à un monde plus grand qu’eux. Ce qui n’empêche pas que cohabitent à l’enseignement des classiques des lectures plus ludiques (c’est d’ailleurs le cas, les programmes donnant une part non négligeable à la littérature jeunesse jusqu’en troisième).

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    • Pigi
      Pigi

      Je suis entièrement d’accord avec cette idée qu’il faut créer et encourager l’envie d’apprendre.
      Le classique est forcément un sujet épineux. Certes, peu de collégiens doivent prendre un plaisir intense à lire Flaubert. En revanche, il est fondamental qu’ils entendent le nom de ces auteurs, qu’ils les côtoient et en lisent au moins des extraits. Forcer des adolescents à lire un classique aura le même effet que de tenir ledit classique à distance, c’est-à-dire une indifférence au mieux.
      Je crois aussi qu’il y a une part de mimétisme. Si les plus jeunes entendent que leurs occupations sont dénuées d’intérêt, pour quelle raison voudraient-ils découvrir ce qui passionne leur prof ? Par contre, faire l’effort de découvrir leur univers rendra plus crédible la volonté de transmettre l’amour de la littérature (et des classiques !).

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    • L'homme des cavernes
      L'homme des cavernes

      Je n’ai que ma propre expérience à faire valoir et je ne travaille absolument pas dans l’éducation nationale, d’où un probable déficit de légitimité. Il n’empêche que si je n’avais pas piqué des San Antonio à mon père, à l’âge de 13 ans, pour les lire en cachette sous ma couette, aujourd’hui je ne prendrais pas du plaisir à lire « les rêveries du promeneur solitaire ». Mon cas ne fait évidemment pas loi, mais je ne le crois pas si exceptionnel que ça. Merci beaucoup pour votre commentaire, c’est important pour moi.

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  • Virginie
    Virginie

    Je suis prof au primaire et le plus douloureux problème est celui de la compréhension. Malgré tout, j’aime lire et j’aime à penser que je peux transmettre le goût de la lecture à mes élèves, notamment grâce à des livres que je leur lis moi, en « lecture offerte ». Niveler par le bas, à savoir se contenter de la bio d’un footballeur connu, ne peut pas me satisfaire car en effet c’est parfois seulement à l’école que l’accès aux livres est rendu possible. Évidemment l’offre de littérature de jeunesse en primaire permet aux élèves de découvrir la lecture, le goût de lire, au travers d’aventures (Jules Verne), d’histoires drôles (Roald Dahl) ou émouvantes (Susie Morgenstern, Marie Desplechin). Je comprends que le « pavé » obligatoire à lire au collège (genre Les Misérable en 4ème) cela ne va pas aider l’élève à avoir envie d’accéder à d’autres œuvres. Enfin moi, perso, j’avais adoré Madame Bovary ou Le Grand Meaulnes, au collège…

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    • L'homme des cavernes
      L'homme des cavernes

      Je ne pense pas qu’il faille « niveler par le bas ». Je dis juste qu’il me paraît important de comprendre leur univers pour les inviter ensuite à développer d’autres centres d’intérêts. Au risque de me répéter, si je n’avais pas piqué les San Antonio de mon père, je ne me serais jamais intéressé à Rousseau, Camus, Steinbeck ou même Sénèque. En tout cas, ce ne sont pas mes études qui m’y auraient poussé.

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  • Camille
    Camille

    Et oui, les choix du programme permettent même à des « littéraires » de ne pas apprécier la lecture ! Quand au lycée, on te demande de lire « l’assommoir », ce pavé qui assomme… ça ne motive ni prof ni élèves. Alors que certains classiques sont bien plus accessibles !

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    • L'homme des cavernes
      L'homme des cavernes

      Tu as raison Camille. Il y a le choix des oeuvres et la façon de les faire lire. Ce n’est évidemment pas simple mais il est clair qu’il y a beaucoup de travail à faire…

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