Ils ont quitté le rythme effréné des loyers et des prêts pour une vie de transhumance. Ce sont les nouveaux nomades de l’Amérique, au cinéma mercredi dans une oeuvre saisissante, Oscar du meilleur film.
De gré, mais surtout de force, les vandwellers sillonnent les routes des États-Unis, proposant leurs services à des entreprises souvent avides de cette main d’œuvre fiable et pas chère. Sans adresse fixe, mais pas sans domicile, ils ont fait de leur camping-car (RV en anglais, pour recreational vehicle) bien plus qu’un outil de loisir. C’est leur foyer, leur espace vital grâce auquel, débarrassés du superflu matérialiste, ils jouissent de la liberté des grands espaces.
Jessica Bruder, la journaliste
Au départ, il y a un livre édifiant paru en 2017. Le résultat de plusieurs années d’enquête au cœur de la communauté nomade. On y découvre effarés les répercussions concrètes de la crise des subprimes qui a jeté des milliers de gens à la rue il y a 10 ans. Bien loin des discours paternalistes des gouvernements, l’autrice montre combien ces gens se sont retrouvés livrés à eux-mêmes dans la première puissance économique mondiale. Son ouvrage est un des plus durs que j’ai pu lire récemment : il montre à quel point il est facile de tout perdre sous le soleil du rêve américain.
Chloé Zhao, la réalisatrice et scénariste
Forte de deux longs-métrages remarqués (Songs My Brothers Taught Me et The Rider), la cinéaste chinoise continue son parcours des vies américaines discrètes et met une option sur l’ouvrage de Bruder en 2018. Elle crée le personnage de Fern, une camper inspirée de véritables personnes rencontrées sur les routes. Grâce à son compagnon le directeur photo Joshua James Richards, elle capture superbement le spectacle des grands espaces (son prochain film sera la superproduction Marvel Eternals).
Frances McDormand, l’actrice et productrice
L’humanisme, la tragédie, l’humour de Nomadland se cristallisent autour de sa comédienne principale. Dans presque tous les plans, elle exprime le désarroi de son personnage Fern, son interminable deuil, mais aussi sa volonté farouche de ne pas se laisser abattre. McDormand est une force de la nature : il faut voir comme elle sait également écouter et donner la parole aux véritables campers qui jouent ici des variations de leur propre vie.
Alors on ne va pas se mentir : le triomphe du film fait plaisir. C’est une épopée intime au coeur tragique, enrobée de moments d’humanité intouchables. La B.O. est d’ailleurs constituée de morceaux de Ludovico Einaudi.
Mais un an après l’Oscar pour Parasite, on fait gagner une nouvelle histoire de personnes qui ont tout perdu. Sauf que cette fois, au lieu de vivre chez les riches, elles choisissent de tracer leur route. Ruez-vous dans les salles pour ce film sublime et n’oublions pas que si tout disparaît un jour, il reste quand même l’espoir et l’amour.
« I have always found goodness in the people I met – everywhere I went in the world.
[This Oscar] is for anyone who has the faith and the courage to hold onto the goodness in themselves
and to hold onto the goodness in each other, no matter how difficult it is to do that.«
« Nomadland » sort en salles mercredi 9 juin.