Maintenant que nous sommes tous aguerris aux affres de la neige, à cette poudreuse glissante tellement féerique qu’on en oublie la galère du dégel… je peux vous emmener au fin fond de la russie rurale, dans un hôpital isolé et mal chauffé.
Cette semaine je vous parle d’une série-ovni – A Young Doctor’s Notebook. Une série en quatre épisodes. Une folie. Merci encore cher hôte.
Quatre épisodes c’est court, mais quelle intensité ! Dans AYDN, on fait un saut dans le passé qui lui même fait un saut dans le passé.
Dans les années 1930, on fait la connaissance d’un médecin d’une quarantaine d’année (qui a la tête du type qui pourrait vous vendre n’importe quoi et qui – ça pour une surprise – joue également dans Mad Men) qui se retrouve démis de ses fonctions pour une sombre histoire d’addiction. Alors qu’on pille son bureau à la recherche de preuves et de seringues, lui feuillette son journal intime. Celui qu’il tenait jeune adulte quand il a commencé à pratiquer la médecine, dans un hôpital reculé de la campagne russe. Avec pour décor la neige (et encore de la neige) et la Première Guerre Mondiale (et de la neige).
C’est Daniel Radcliffe qui interprète ce Young Doctor et permettez-moi de vous dire que je me suis pris une claque monumentale. Harry Potter dépote. Daniel Radcliffe est juste excellent, brillant. Un grand acteur avec une tête d’aliéné.
Ça commence comme une farce. Le jeune docteur débarque en calèche et prend ses quartiers dans un hôpital lugubre, peuplé d’infirmières effrayantes et d’un collègue illuminé. Daniel Radcliffe est hilarant. Si son jeune âge le décrédiblise pas mal, il essaie de se donner un peu de consistance, dans sa démarche, dans sa voix et en se laissant pousser une barbe disparate et aérée… et en fumant des cigarettes roulées. Dès le premier patient, la panique le gagne et toutes les excuses sont bonnes pour courir dans sa chambre et potasser son livre d’études. C’est l’expérience qui fera de lui un médecin, pas son diplôme. Et il l’apprend malgré lui. Les patients s’enchaînent, tous dans des états critiques, la syphilis fait rage et pourtant, ces malades n’attendent qu’une chose : que le médecin leur prescrive des gouttes. Ou du sirop. A la rigueur de la pommade. Notre médecin est consterné. Quand arrive celle qui va devenir sa première amputation, on vire au cauchemar burlesque. Ils n’ont bien entendu aucun outil, pas d’anesthésiant digne de ce nom. Ici on endort le patient avec du chloroforme. La scène s’allonge, et on ne peut détacher ses yeux de cette scie émoussée, nos oreilles de ces bruits ignobles et douloureux…
C’est un baptême de feu pour Daniel Radcliffe qui m’aura étonné pour son interprétation. Il est drôle et il s’est clairement éloigné de sa zone de confort de Poudlard. Durant les quatres épisodes, Jon Hamm, son “lui plus vieux” vient lui tenir compagnie avec la connaissance qu’il a de son passé, et il commente ses erreurs, les siennes donc. La folie gagne peu à peu notre jeune médecin.
Coincé dans cet univers très Tim Burtonesque, on subit avec lui l’attente. Le jour où le blizzard cessera de souffler et qu’il recevra enfin les journaux, des cigarettes… de quoi le distraire de cet enfer blanc.
Petit à petit la farce tourne au drame et à défaut de distraction, le médecin finit par s’administrer de la morphine. Pour soulager une douleur, sûrement l’ennui qui lui tiraille les tripes…
Et c’est l’engrenage. Il bascule dans l’addiction et finit par accomplir l’irréparable : prescrire des gouttes aux malades. Il n’est plus investi d’une mission. Il n’y croit plus. Il rêve même de perdre son diplôme pour retourner à la vie, la vraie, celle qui fait du bruit et tourne la tête. Revoir Moscou et au diable la fierté d’un métier si ingrat !
Jon Hamm est Daniel Radcliffe. Dans les années 30, il perd son statut et on va le forcer au sevrage. Inutile de vous dire que ce n’est pas beau à voir et sûrement un peu perdu d’avance.
Avant d’en arriver là, ce médecin va connaître l’apothéose de la drogue. Alors qu’il est appelé au chevet d’un mort (ce qui est – ma foi – un peu tard) il décide en chemin d’abandonner sa nouvelle habitude et jette la clef de la réserve. Celle-la même qui lui offre un paradis artificiel. Sur le chemin du retour, la déception et le manque prennent le dessus et il craque. Il délire et se met en tête de retrouver son précieux sésame. Au milieu de la neige donc. Il va se battre. Avec lui même. On peut dire qu’il touche le fond.
A ce moment là de l’histoire, A Young Doctor’s Notebook a des accents de Trainspotting. C’est malsain. On se les gèle.
Tirée d’une nouvelle de Mikhail Bulgakov (comme ça se prononce), A Young Doctor’s Notebook offre une parenthèse déjantée. Une satire fantasque. On a froid, on rit, on frissonne de dégoût, on hallucine aussi. L’image est superbe, sombre, parfois glauque. Un éclairage succinct mais suffisant pour apercevoir les coins sombres. Et un grand bravo à la prestation de feu Harry Potter qui navigue entre le registre comique et le mode plus inquiétant de la folie. A voir absolument.
Ça nous change des midinettes américaines et policées où la médecine est glamour et toujours – toujours – stimulante.
Bande annonce de ce young doctor