“Elmet” de Fiona Mozley, ou quand Huckleberry Finn et Mickey O’Neil ne font qu’un.

« Elmet » est le premier roman de Fiona Mozley, jeune auteure anglaise. La lutte des classes, le retour à la nature, la violence sociale, la quête d’identité et le droit de propriété sont les différents sujets abordés dans le récit. La Campagne anglaise du Yorkshire, au nord-est de Manchester, en est le berceau. Le pouvoir de ceux qui ont tout s’exerce sur ceux qui n’ont rien et l’injustice ressort toujours vainqueur de ce combat inégal. Fiona Mosley invite ainsi à sa table Emile Zola, Jim Harrison et John Steinbeck dans ce livre empreint de poésie, de mélancolie et de révolte.

John Smythe vit dans les bois avec son fils Daniel, 14 ans, et sa fille Cathy, 15 ans. Il a construit sa maison de ses mains, comme on le faisait au Moyen-âge. Dans un dénuement quasi-total, cette famille, dont la mère est absente, subsiste grâce à la chasse, l’élevage et la culture des aliments de base. John est un Golgoth flirtant avec le double mètre, au torse épais et velu, aux bras solides comme des troncs d’arbres. C’est un père à la force herculéenne mais doué d’une douceur toute maternelle pour ses enfants. Il a longtemps gagné un peu d’argent dans des combats illégaux, à mains nues, organisés par des gens douteux. Invaincu mais vieillissant, il aspire à une retraite paisible avec ses enfants. Mais c’est sans compter sur l’avidité de Mr Price, riche propriétaire terrien, dont il occupe une parcelle délaissée.

« L’égoïsme des classes est un des soutiens les plus fermes de la tyrannie. »

Emile Zola

Cathy est le portrait de son père, non pas physiquement bien sûr, mais plutôt de caractère. C’est une battante, une adolescente qui n’a peur de rien ni de personne. Elle ne se laisse jamais impressionner. Elle n’a pas son pareil pour la traque du gibier et la chasse à l’arc, comme John les lui a enseignées.

Daniel, le narrateur du récit, est quant à lui affecté d’une plus grande fragilité. Il ne sait pas s’il est encore un jeune garçon ou un homme. Il se cherche et laisse le regard des autres le définir. Aux longues promenades dans les bois et aux travaux manuels, il préfère les livres prêtés ainsi que les apprentissages dispensés par Vivien, une voisine compatissante. Il admire son père autant que sa sœur et voudrait leur ressembler, mais n’en a pas les capacités. Pas encore.

John a momentanément été au service de l’odieux Mr Price. Il utilisait ses muscles pour collecter le loyer de pauvres gens démunis. Mais sa gentillesse innée a fini par faire de lui un repenti et c’est aujourd’hui aux côtés des faibles qu’il veut ancrer son engagement. Price ne l’entend pas de cette oreille et veut que John fasse quelque-chose pour lui afin de mériter de vivre avec ses enfants sur ses terres. Un dernier combat à l’issue incertaine contre un homme plus jeune que lui, aussi féroce qu’un ours. Une confrontation à l’ancienne qui, si John en sortait vainqueur, lui rendrait sa liberté, et qui rapporterait beaucoup d’argent à Price.

« Les bois peuvent être un peu étranges. Il faut longtemps pour avoir l’impression d’être un homme des bois, mais ensuite, jamais plus on ne peut redevenir un homme des villes. »

Jim Harrison

Je n’irai pas plus loin dans le résumé de ce livre brillant, de peur d’en déflorer trop et de gâcher votre lecture prochaine. La force de ce drame social en serait d’autant amoindrie. En effet, la lenteur étudiée du début du roman ne laisse pas deviner un final aussi haletant. C’est bien là, à mon humble avis, tout le talent de la plume de Fiona Mozley. Elle sait à merveille magner le verbe et accélérer le rythme du récit en fonction des évènements qu’elle décrit. Nous lecteurs, sommes des chevaux sauvages qu’elle dompte à loisir au fil des pages. Sa poésie, palpable dès le premier chapitre, se transforme en thriller palpitant au moment où l’on s’y attend le moins. Sa douceur visiblement naturelle devient violence immédiate et crue, comme pour nous rappeler à quel point le monde est beau mais terriblement brutal.

« Elmet » sort aujourd’hui, jeudi 8 avril, aux Editions Folio. Vous l’aurez compris, je vous en conseille vivement la lecture. Et je vous invite aussi à retenir le nom de son auteure, Fiona Mozley, dont la qualité d’écriture sert parfaitement l’imagination. Laquelle on espère durable car, malgré son jeune âge (33 ans), l’écrivaine ne tire aucun plan sur la comète : « J’avoue avoir beaucoup de plaisir pendant le processus d’écriture. Mais ce n’est pas une fin en soi. Le jour où je n’aurais plus rien à dire, j’arrêterai, je ferai autre chose. Je ne veux pas en faire un métier. » Ce serait du gâchis…

« La repression n’a pour effet que d’affermir la volonté de lutte de ceux contre qui elle s’exerce et de cimenter leur solidarité. »

John Steinbeck

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