Rares sont les films qui nous proposent autre chose. Vraiment autre chose que les devenus quasi bi mensuels adaptations super héroïques, que les comédies minables franchouillarde dont on nous caviarde, et que les blockbusters finalement plus aussi rutilants que naguère. Des films qui font la part belle à l’inventivité, la création et qui ne prennent pas leurs spectateurs pour des buses. Ce type de film, on en voyait pas mal il y a une vingtaine ou trentaines d’années. Des Vidéodrome, Brazil, Crash, et autres Le Locataire avaient la part belle dans les salles alors moins frileuses et leurs réalisateurs du nom de Cronenberg, Lynch, Gilliam, Polanski (ses films pas l’homme et ses méfaits), Zulavski et autres mecs en ski qui dévalaient les pentes du bon gout cinématographique en proposant un cinéma alternatif et moins consensuel.
Le réalisateur Ben Wheatley qui vient de pondre High Rise n’est certes pas de la génération de ces génies, mais il tire l’essence de son univers filmique de ces derniers. Ce petit bonhomme rondouillard et au final peu loquace est un réalisateur torturé et qui n’a pas froid aux yeux et ses précédents films l’attestent . Fort de s’ être taillé une sacré réputation et d’avoir fait une sacré impression lors de festivals et au sein de cercles cinématographiques pour initiés au genre. Le réalisateur de quarante trois ans et sa compagne, son acolyte et scénariste attitrée Amy Jump ont su se faire une place de choix dans le landerneau de l’industrie cinématographique britannique. Sans pour autant être devenu une idole indé pour bobos et autres hipsters en mal de nouvel référence artistique. Ben Wheatley a en moins d’une dizaine d’années su se faire sa place au sein d’un cinéma indépendant et novateur.
Avec High Rise il signe son film a plus gros budget et adapte un roman de l’un des chantres de la littérature SF et d’anticipation JG Ballard. Souvenez vous le petit garçon un peu dingue interprété par le tout jeune Christian Bale dans le mémorable l’Empire du soleil de Spielberg c’était lui. Un auteur torturé qui nous offrit le roman culte Crash (lui aussi adapté au ciné par David Cronenberg). N’ayant lu aucuns de ses bouquins je ne pourrait me prononcer sur la fidélité de ces adaptations par rapport aux romans, mais jusqu’à maintenant la sève de folie qui suite de ces deux médiums, semble ici toujours aussi présente.
High Rise est une satire d’anticipation sociale qui nous plonge dans des années 70 dystopiques, au cœur d’un gigantesque building situé dans une ville dont on ne connaît pas exactement l’état ni la situation où cohabitent dans la plus grande fragilité, la middle class et les nantis reclus dans le penthouse de cette cyclopéenne construction de béton et d’acier. L’équilibre sociale et mental fragile de ce microcosme urbain va basculer lors d’une coupure de courant et au moment de l’arrivée d’un jeune docteur venu résider dans cette enceinte.
Sexe, drogue, alcool et rock n’ roll sont au final les fers de lance de cette guerre des blocs (Judge Dredd n’est pas loin) que vont se livrer les habitants de ce building en progressive désagrégation. Métaphore de la société psychologiquement fragile qui l’habite et qui comme lui se cache au départ sous le verni des apparats. La modernité du bâtiments se fissure progressivement pour laisser place au chaos et laisse suinter dans ses couloirs un maelstrom de pourriture, de luxure, de dépravation motivé par l’envie, la jalousie et l’incapacité de l’homme a cohabiter en harmonie. Le fossé sociale immense entre pauvres et riches reclus dans les hauteurs économiques, sociales et matérielles de leur situation, refusant de se mélanger a ce qu’ils considèrent comme la lie de l’humanité. Certains habitants de notre XVI ème arrondissement de Paris en ce mois d’Avril 2016 en sont le parfait reflet mis en évidence grâce à l’affaire des logements pour SDF du bois de Boulogne. Comme quoi d’une certaine façon High Rise n’est plus vraiment une anticipation.
Si Ben Wheatley est un excellent réalisateur et que son film reste réussi et vraiment intéressant, il ne parvient pas a y insuffler une vrai touche de folie malsaine qui prend vraiment aux tripes. Certes High Rise bénéficie de passages démentiels, mais qui restent étrangement toujours un brin trop sage et qui donne l’impression que le réalisateur n’a pas voulu se mettre a dos la censure. Ce qui pour ce type de film plutôt psychotronique est assez dommage. Cet opéra de la folie est orchestré par un bande originale composé par Clint Mansell (Requiem for a dream) et une bande son 70’s qui lui sied parfaitement et qui contribue grandement a nous plonger dans le chaos orgiaque de cet immeuble. Bien entendu, il y a du sexe, du sang, de la violence, et du foutre mais au final on se surprend a être bien plus dérangé devant le cultissime et pourtant soft Orange Mécanique de Kubrick ou devant le Crash de Cronenberg que devant High Rise qui a en lui les vrais graines de la révolution et de la transgression. Les personnages campés par des acteurs formidables sont quand a eux tous parfaitement dirigés, Tom Hiddelston, Jeremy Irons, Sienna Miller, James Purefoy, Luke Evans… La photo est superbe, bien qu’un brin de folie et d’agitation en plus n’auraient pas été inutile au cadre, ce qui aurait pu conférer a l’atmosphère visuel psychédélique et dantesque de cette tour des enfers un côté plus dérangeant.
En fait le seul problème de High Rise et ce qui a mon sens l’empêchera de devenir aussi culte que des films comme Fear and Loathing in Las Vegas de Gilliam (qui au passage aurait pu être un choix démentiel pour réaliser ce film) ou un Festin nu de Cronenberg, sera son manque de jusqu’au-boutisme et de couilles. Attention des testicules, ce film en regorge, mais a mon avis il en manque juste la quantité pour défoncer les frontières du politiquement correct cinématographique. Néanmoins High Rise reste un ovni filmique, certes pas un ovni fou et en perdition, mais un ovni contrôlé (peut être trop) qui a quand même l’intelligence de nous laisser a réfléchir à la fin de la séance sur la finesse de la frontière entre notre nature destructrice naturelle et la culture mot qui englobe à la fois notre façon de vivre, de nous encadrer nous même dans nos rites et coutumes. High Rise reste cependant un excellent moment de cinéma qui dans sa débauche d’acteurs, de moyens, de décors reste fort intéressant et sympathique mais ne parvient pas pour autant a se hisser au niveau de son fantastique Touristes et au final n’impressionnera vraiment que les profanes du genre où vu le niveau actuel des spectateurs lambdas les fera fuir. Ce qui serait fort dommage. Une chose est certaine Ben Wheatley est un réalisateur a suivre qui je l’espère ne se laissera pas bouffer par le système écrasant de l’industrie cinématographique actuelle. Le film est distribué par The Jockers films une petite boite de distribution qui en ces temps de disette cinématographicoculturelle (oh putan je me suis surpassé niveau mots compliqués et inventés) a pour le coup les couilles de proposer au sein de son catalogue des productions culottées qui fleurent souvent bon l’originalité, l’indépendance et le politiquement incorrect. Donc si ça vous branche et que vous voulez vous payer une bonne tranche de folie et de singularisme filmique foncez voir High Rise qui sort ce Mercredi près de chez vous…