La lecture coup de poing du jour, « Impunité » de Hélène Devynck.
Hélène Devynck est une journaliste de télévision, entrée à TF1 dans les années 80, assistante de Patrick Poivre d’Arvor de 1991 à 1993. Assistante qui écrivait toutes les répliques du présentateur mielleux, elle supportait brimades et colères chaque jour, son travail n’était jamais valorisé, pire il était critiqué devant toute la rédaction. Puis vint le viol.
Dans son livre, elle dénonce la culture du silence autour du comportement innommable du présentateur du JT de 20h le plus regardé de la grande maison TF1. Indéboulonnable et protégé, la star du JT s’avère être un prédateur sexuel en série.
En 2021 le témoignage de Hélène Devynck paraît dans Le Monde du 16 mars, elle y explique le silence qu’elle s’est imposé face au viol subi, aux colères dont elle était l’objet en plateau dès qu’il n’était plus à l’antenne. Elle gérait, jusqu’au viol.
Le silence pour survivre dans un monde de culpabilisation. Le « tout le monde sait » qui est un « tout le monde se tait ». Les regards qui en disent long. Les messes basses de couloir humiliantes.
Elle écrit ce livre après une classification sans suite de la justice le 25 juin 2021. Mot magique : prescription, pour 21 femmes.
Rappelons ici, comme le précise H. Devynck qu’un classement sans suite n’est nullement un acquittement. PPDA N’EST PAS BLANCHI.
« Nous sommes les prescrites, les classées, les sans-suite »
De nombreux témoignages qui, par leurs ressemblances, se superposent. Une tactique, un mode opératoire identique. Des regards libidineux, sa question favorite « Vous êtes en couple ? Vous êtes fidèle ? » pour préliminaire. Un éclairage sur des habitudes criminelles bien rodées.
L’horreur dans l’horreur, PPDA s’attaquera à plusieurs femmes anorexiques, on connaît tous l’histoire de sa fille Solen, anorexique, qui s’est suicidé à 19 ans. Il ne peut nier connaître les affres d’une maladie où le corps est martyrisé, où la sexualité n’est pas une évidence. Le prédateur s’en accommodera, ne se gênera pas, le livre rapporte que l’une de ces femmes sera contrainte à une fellation.
Une deuxième tribune paraît le 9 juillet 2021, elles témoignent, elles sont cinq à signer, à livrer leur identité, à parler des actes, du contexte, souvent les mêmes : les invitations à voir un 20h « le coup du plateau » se finissant par une « discussion » dans son bureau, quelques minutes et elles se retrouvent avec un doigt dans la culotte, une main dans le soutien-gorge. Dans cette tribune elles parlent de la culture du silence, de l’impunité organisée.
PPDA était vu comme un séducteur, il est un prédateur.
La justice prescrit, le viol reste, s’ancre en toute victime, il est là, pernicieux, il revient, il détruit un peu ou plus. Le prédateur, lui, s’affranchit de toute culpabilité, il prend, il vole, il viole puis il sourit et recommence.
Ce livre est une claque, on y lit les commentaires reçus après la tribune et on en vient à haïr une certaine frange de l’humanité qui dira toujours « y a des salopes aussi », « vous n’avez rien dit, vous n’avez pas crié, mordu (…) »
Le silence des victimes est toujours mis en cause, questionné, moqué, celui des collaborateurs, amis du criminel, de ceux et celles qui savaient est souvent excusé. Pourquoi ?
La sidération d’une victime ne s’entend pas. Cet état où le corps ne peut pas. L’esprit ne sait pas.
Alors oui, elles se sont tues longtemps, ont voulu oublier ou pour le moins survivre au mieux, maintenant qu’elles parlent, qui nous empêche de les écouter, de les croire ?
Moi je les crois. À 14 ans j’étais naïve, vierge et mon corps s’est tu, mon esprit s’est fermé, je n’ai appelé cela viol que 25 ans plus tard. Le temps de comprendre.
Ce livre est à lire pour savoir, pour protéger, ne plus avoir peur de dire, pour soutenir et pour ne plus entendre un Président français dire qu’il ne veut pas d’une société de l’inquisition. Jamais plus. Écouter ces femmes, c’est prendre en compte chacun des mots, ce n’est pas trahir la présomption d’innocence que de les entendre RÉELLEMENT.
Se taire c’est donner l’impunité d’agir aux prédateurs.
Ce livre est une claque, et cette claque est essentielle, merci Hélène Devynck. Et merci aux femmes présentes dans ce livre. Merci.