L’adulte soigne l’enfant qu’il a été.

« Allez plus lentement… Une page et puis une autre. Il ne faut pas vouloir finir trop vite… Un jour, on peut imaginer que quelqu’un sera ici, à notre place, et qu’il collera la dernière plante du dernier herbier, mais je ne suis pas certain que celui qui accomplira ce geste sera plus heureux que nous qui avons encore tant à faire ». 317q912ge7L__

 

Nous sommes dans le Vaucluse, dans un petit bled perdu qui ne paye pas de mine, comme des milliers en France, comme celui ou j’ai grandi. En ces premiers jours de décembre, il y fait froid, le petit bourg fait penser à ces cartes postales jaunies d’une autre époque et ses habitants semblent liés inévitablement à ce décor, sans possibilité ni même de désir de s’en échapper.

Carole, notre héroïne, désormais installée à Saint-Etienne, revient dans sa vallée natale, car son père lui a donné rendez-vous, par l’intermédiaire d’une boule à neige qu’il envoie régulièrement à ses enfants pour annoncer ses retours.

Pendant plus d’un mois, Carole l’attend, logée dans un gite partagé avec une fouine dans le grenier, gite attenant à la scierie où travaille son premier amour, en face d’un bistrot ou elle prend ses déjeuners, émerveillée par une serveuse sensuelle et à qui pourtant il manque une jambe, partageant ses journées entre travail de traduction, balades dans la montagne et restauration d’un herbier gigantesque. En soi, rien d’étonnant. Lorsque l’on rentre chez soi dans un décor qui ne parle qu’à soi puisque délaissé – jugé sans intérêt – par le reste du monde, on est souvent pris de nostalgie bien sûr, et tous les lieux – dont on a vite fait le tour – et les personnes qui nous entourent, constituent un environnement douloureux tellement il nous parle, tellement il est nous, et la poésie y trouve toute sa place. L’atmosphère ici est prégnante, forte, belle, émouvante.

 

Mais le plus important, sans qu’elle n’en sache bien sur rien, sont les visites rendues à son frère et sa sœur, restés vivre en terre natale, qui lui en veulent d’être partie et surtout, de n’être plus comme eux. C’est le temps où l’on tente de se souvenir, de réparer les non-dits de l’enfance, mais aussi de comprendre qui l’ont est depuis.

 

C’est avec subtilité et pudeur que Claudie Gallay nous conte cette histoire de famille, cette histoire avant tout fraternelle. Pas de coups d’éclats, de rebondissements incroyables. Les journées se suivent et se ressemblent, marquées pas les habitudes et les rencontres entre le frère et les sœurs. C’est avec une lenteur extrême que Carole se fait accepter par sa fratrie et est à nouveau autorisée à donner son avis dans un monde auquel elle n’appartient plus.

 

L’écriture de Claudie Gallay n’est pas aisée au premier abord : les phrases sont très courtes, ce qui tranche, hache son récit, nous impose la lenteur de lecture. Et pourtant, avec quelques efforts, on finit par rentrer nous aussi dans cet univers, nous sommes en vacances, nous regardons la neige tomber, nous tremblons quand nous nous retrouvons face à l’amour de jeunesse et essayons de comprendre pourquoi ce qu’on appelle « la vie » ou « le destin » en a décidé autrement. Rien ne laisserait penser que ce roman n’est pas un miroir de la vie.

 

Arrivés à l’âge adulte, il n’est plus étonnant que nous partions vivres dans de grandes villes – souvent bien plus grandes que Saint-Etienne d’ailleurs – pour « aller de l’avant ». Nous pensons que notre destin se jouera là-bas, dans ces villes foisonnantes qui nous font croire que tout est possible. Evidemment, c’est nécessaire, nous avons à nous construire nous-mêmes en tant que personnes, et pour cela il faut bien souvent se détacher de sa famille. Ce à quoi l’on pense moins souvent, c’est qu’on reviendra, et qu’à chaque fois, le fossé qui nous sépare sera plus grand. Pourquoi, alors que nous avons grandi ensemble, nous devenons chaque jour plus différentes avec ma sœur ? Pourquoi suis-je à chaque fois impatiente de retrouver ma campagne natale et la maison où j’ai grandi et en même temps gagnée par la tristesse en constatant que je ne fais plus partie de cette maison chérie dans laquelle j’ai encore, jusqu’à aujourd’hui, mes souvenirs les plus heureux ? L’enfance abandonnée et les jouets qui vont avec encore là pour en témoigner.

 

Claudie Gallay parle de ces blessures, me parle de la beauté du décor de nos enfances, de ces destins auxquels nous aurions pu prendre part mais desquels nous avons préféré nous enfouir. Claudie Gallay me parle de ma vie d’adulte, dans tout ce qu’elle a d’inévitablement lié à mon passé et avec lequel je dois composer quand je croyais bêtement, en partant, que je le laissai derrière moi. Enfin, l’auteur me parle de tous ces secrets et de ces rancœurs. Sans violence, mais avec persistance elle propose de poser des questions et de se livrer.

 

Qu’est ce qui fait d’un livre, un livre qui sort de l’ordinaire, qu’on gardera prêt de soi, auquel on se référera souvent au cours de sa vie? C’est un livre qui parle à l’enfant et à l’adulte que nous sommes, sans nous faire violence mais avec émotion, puisque les histoires de familles en sont chargées. On ne revient pas en arrière, certes, mais il est possible de construire son avenir de manière apaisée, sur des bases assainies. Claudie Gallay nous propose des réponses, une possibilité de continuer sa vie, et c’est ce que l’on attend toujours d’un bon livre : qu’il nous aide à vivre.

 

« Gaby s’est avancée près de moi. J’avais oublié sa présence. Elle avait tout récuré dans la cuisine. Tout récuré sur l’évier. Je n’arrivais pas à ouvrir mes doigts. J’avais les phalanges à vif. Seuls les pouces, repliés, avaient été épargnés.

Elle a pris mes mains. Elle a déplié mes doigts un par un, sans rien demander. Elle est allée chercher le désinfectant. La peau s’était arrachée, soulevée, des particules de plâtre s’étaient glissées dans les chairs. Elle a nettoyé.

–          Tu ne pleures jamais, toi ? elle a demandé.

–          Si, comme tout le monde.

–          Pas souvent ?

–          Pourquoi tu veux que je pleure ?

Sur le carreau de la fenêtre, il restait un rond de buée qui disparaissait lentement.

Quand je suis émue, je respire à l’envers, plus d’expiration que d’inspiration, ça fait entendre les failles. Gaby a posé un doigt sur chacune de mes paupières. Une pression légère. J’ai senti sa chaleur traverser la peau fine et chauffer derrière. Mes larmes ont gonflé. Ca lâchait prise.

–          Tu fais chier Gaby…

–          Je sais ma sœur… »

 

Titre : Une part de ciel

Auteur : Claudie Gallay

Editeur : Actes Sud

ISBN : 978 2 330 022648

 

 

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