Marguerite est le premier roman de Jacky Durand. Pas le cycliste non, le chroniqueur culinaire, qui officie pour Libération et France Culture. Et je ne sais pas ce qu’il vaut sur un vélo, mais pour ce qui est de la narration, il en a sous la pédale. Alors tous en selle ! Formons un peloton de lectrices et de lecteurs et accompagnons son héroïne dans les méandres de la vie pendant la seconde guerre mondiale. Voyons-là s’escrimer à surmonter les épreuves comme autant de cols alpestres jusqu’à l’arrivée où elle espère tendre les bras vers sa propre liberté ainsi que celle de son pays.
Le livre raconte une parenthèse de la vie de Marguerite, une jeune femme française, d’août 1939 à août 1945. Il est vrai que l’on a l’impression que tout a déjà été écrit sur la deuxième guerre mondiale. Mais ce roman, même si la période dans laquelle il se situe ne trompe pas, est un pas de côté de l’Histoire avec un grand H. Il ne parle pas de l’horreur, ni de géopolitique, pas plus que des causes ou des conséquences de la folie des hommes. Il nous fait découvrir une existence de femme simple et rangée que les évènements viennent bouleverser.
« La guerre va frapper à leur porte, Marguerite le sait, Pierre sait qu’elle sait mais ils n’en parlent pas. Le silence est la plus supportable des complicités. »
Jacky Durand
Marguerite est la jeune épouse de Pierre depuis moins d’un mois lorsque celui-ci est appelé sous les drapeaux. Passés l’effroi, la tristesse et la désespérance, il est temps pour elle de faire face à sa destinée. Marguerite va rapidement reprendre sa vie en main, trouver en elle une force insoupçonnée, affirmer son goût pour l’autonomie et l’émancipation. La guerre ne change pas seulement l’existence de ceux qui la font, elle exacerbe aussi la personnalité cachée des êtres restés en retrait, qui doivent se battre pour vivre comme ils l’entendent. Entre sa générosité, son besoin d’aider son prochain et son inclination à être une femme indépendante, Marguerite se découvre et devient enfin elle-même. Sa rencontre avec Franz, un soldat de l’envahisseur allemand, va briser les derniers parements du mur qui la sépare de la liberté.
« En temps de guerre, il n’y a ni lâches ni héros, il n’y a que des gens qui réagissent différemment face à l’absurdité humaine. »
Xavier Viallon
Ce texte a beaucoup de qualités, et notamment celle de rappeler quelques évidences parfois oubliées. Dans la vie, tout n’est pas noir ou blanc. Les généralités sont les ennemies de la vérité. Tous les français n’ont pas été des résistants, loin s’en faut. De même, tous les allemands n’étaient pas des monstres enragés vénérateurs de l’ogre nazi. Combien de destins originellement éloignés se sont-ils croisés en 6 ans de guerre ? Qui peut affirmer avec certitude qu’il aurait agi autrement à « leur place » ? Combien de françaises ont subi l’opprobre pour des faits de collaboration alors qu’elles ont parfois simplement suivi leur cœur ?
Jacky Durand a écrit ici un ouvrage particulièrement réussi. Avec une plume d’une sensibilité immédiatement perceptible, il nous transporte dans la vie de Marguerite, comme si elle avait existé et qu’il l’avait connue. Ce portrait de femme est criant de vérité. Son écriture ciselée nous montre sans aucun doute qu’il n’est pas seulement un journaliste, mais bien un écrivain à part entière. Il a l’art de narrer les petits plaisirs d’une campagnarde autant que les scènes bouleversantes qu’elle subit, le travail harassant, mais aussi le désir d’un corps en plein apprentissage de l’amour. Plus qu’un premier roman, Marguerite est un grand livre.
Marguerite, de Jacky Durand est disponible chez Folio.