Mermoz par Kessel

En ce 4 juin de l’an de grâce 2020, Joseph Kessel intègre la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade. Ainsi, pour coller à l’actualité mais pas trop, parlons d’un bouquin qui n’est pas inclus à la sélection de Gallimard : Mermoz.

Jef Kessel, c’est un type russe né en Argentine, engagé dans l’aviation française pendant la grande guerre, résistant dans la seconde (« Le Chant des partisans » c’est lui et son neveu), parti à l’aventure partout où il put parce que grand reporter et qui rentre à l’Académie Française en 1962. À vrai dire, résumer sa vie si brièvement c’est lui faire injure mais rassurez-vous, il existe de quoi se documenter sur le sujet.

Si le parcours du sieur Kessel devrait laisser coi une bonne partie de l’humanité, il faut savoir que ses romans sont l’occasion de rendre hommage à ceux qu’il a côtoyés et admirés dans sa vie. Jean Mermoz, « l’Archange » fut de ceux-là. Et qu’on soit clair, lire la vie de Mermoz par Kessel est une sacrée expérience. Ce qu’a accompli Mermoz dépasse l’entendement par moment et surtout la plume de Jef témoigne d’une amitié et d’un respect incroyables. On se sent proche de ces hommes parce qu’on les sent authentiques et on serait fier de leur payer un verre.kessel

Jean Mermoz donc. Il se lance dans l’aviation en 1920 dans l’armée, trime pas mal une fois revenu à la vie civile puis s’en va à Montaudran chez Latécoère. Didier Daurat, en charge de l’aérodrome, est rapidement convaincu des capacités de Mermoz mais ne tolère le moindre excès. La base d’une amitié solide. À partir de là, les vols s’enchaînent de plus en plus régulièrement de plus en plus loin. L’entreprise Latécoère est devenue l’Aéropostale. À cette époque, monter dans un avion c’est n’avoir aucune garantie d’en revenir vivant. Pourtant la bande des Mermoz, Saint-Exupéry, Reine ou Guillaumet ne pense qu’à voler et à amener le courrier à bon port. Les pannes mécaniques sont régulières et les atterrissages forcés dans le désert monnaie courante. En admettant que le manque d’eau ne soit pas fatal, il fallait éviter les tribus Maures qui guettaient les avions dans l’espoir de capturer pilote ou mécanicien.

Mais ce genre d’obstacle ne saurait être suffisant pour stopper ces hommes. La suite, c’est l’Amérique où Mermoz développe le transport du courrier par voie aérienne dans le sud du continent. L’image d’un avion en panne dans une montagne, qui après réparation dévale le flan de ladite montagne, décolle mais pas assez, rebondit et finalement prend son envol fait très Looney Toons. Mermoz l’a fait. « Il était maître de l’avion, du ciel, du monde » écrit Kessel après avoir narré ce passage.mermoz

Mermoz finira par réaliser son rêve de traverser l’Atlantique par le ciel. Il accomplira cet exploit plus de 20 fois, jusqu’à ce triste jour de 1937 où la Croix du Sud disparaît. Ici et là, on pleure la mort de ceux qui se trouvaient à bord. Les pilotes d’Air France porteront par la suite une cravate noire pour porter le deuil de Jean. Guillaumet trouve que les compagnons de traversée de son ami sont « chanceux d’être morts avec Mermoz ». Parce que c’était ce genre d’homme, celui dont on est honoré de prendre des risques avec lui et de partager son destin. Et ça Kessel nous le retranscrit d’une manière formidable. N’hésitez pas, embarquez avec Jef dans la vie de Jean. C’est un voyage sans risque mais qui met de superbes étoiles dans les yeux. Si besoin de s’en convaincre, voici les lignes rédigées par Kessel après avoir mis le point final :

     « Sans ton secours, Jean, je n’eusse pas été capable d’aller jusqu’au bout de ce livre. Tant que j’ai suivi ta route, j’ai senti ton rire, ta tristesse, ta force et ton élan. J’ai été presque heureux. Je te remercie pour ce que tu m’as forcé d’apprendre mot à mot ton histoire et celle de ta cohorte ailée. Je n’en connais pas de plus belle.
   Mais, ce matin, tu meurs une seconde fois.
   J’ai peur de nouveau.
   Me suis-je trompé souvent ? T’ai-je trahi ? M’était-il permis de tout dire de ce que j’ai dit ?
   Pourquoi ne peux-tu pas mettre ta main sur mon épaule ? cela suffirait pour me rassurer.
  Nous devions raconter ton existence ensemble. Seul, j’ai employé à ce récit tout ce que j’ai pu apprendre d’un métier qui chaque année me désespère davantage. Rien ne parvient à reproduire la vibration touffue de la vie. J’ai apporté à écrire toute mon honnêteté. Et tout mon amour pour toi.
   Hélas ! il n’était pas en mon pouvoir de faire davantage.  »

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