Transsibérien. La seule évocation de ce mot suffit à faire monter en moi une foule de sentiments diffus mélange d’émerveillement et de nostalgie de choses que je n’ai même pas vécues… Bref, une espèce de magie envoutante. Il faut dire que ce train, qui part de Moscou pour finir à Vladivostok, traversant en une semaine des paysages incroyables et plus variés qu’on ne le croit, me fascine depuis longtemps. J’avais d’ailleurs même déjà lu Tangente vers l’est de Maylis de Kerangal l’année dernière, qui contait les aventures d’un jeune homme embarqué à bord de ce convoi.
Quelle ne fut pas ma surprise quand, en en discutant avec une libraire, elle m’appris que ce livre avait été écrit à bord du Transsibérien en compagnie de 13 autres écrivains, tous invités par la Russie. A la suite de ce voyage en 2010, deux autres livres sont produits : l’un de Danièle Sallenave, Sibir, et l’autre, de Dominique Fernandez : Transsibérien. C’est ce dernier qui me séduisit, avec sa belle couverture promettant une petite escapade en quelques 270 pages.
Si Tangente vers l’est était un roman fictif, où tout une histoire se déroulait, Transsibérien prend le contre pied, et est bien plus réaliste. Plutôt qu’un roman, c’est un carnet de voyage, pour immortaliser ces trois semaines de voyage, visites, rencontres et conférences des écrivains, toujours accompagnés de guides — un peu trop encadrés même, à en croire l’auteur.
J’aime bien les livres de route. J’en lis peu, mais je suis toujours émerveillée par leur pouvoir d’évasion, bien supérieur à un film à mon goût, en quelques pages seulement. Transsibérien nous fait réellement vivre ce fantastique voyage, et l’effort est même poussé jusqu’à intégrer des photos au centre du livre, pour séduire tous nos sens et donner à voir une œuvre complète.
Mais le voyage que Fernandez propose dépasse le seul aspect touristique. La question centrale qui travaille l’écrivain est de comprendre la Russie après la chute du communisme. Partout, il traque les détails de ses vestiges, de sa mort et de sa persistance ; statues de Lénine négligemment abandonnées sur les places, bénéficiant à peine des lumières fusant des grands magasins, mais hôtels rustres, sales et simples où des portraits du révolutionnaire restent cloués aux murs. Si le train avance sans cesse, Fernandez ne se lasse pas d’effectuer des va-et-vient entre passé et présent. Ainsi, les paysages se dotent d’une âme à travers l’histoire tragique de Gorki, les villes se visitent en faisant un détour par la fiction et les imaginaires qui ont, et nourrissent toujours les étrangers – les Français par le biais de Jules Verne et Dumas entre autres. Ce que Fernandez nous offre, c’est un voyage d’une extraordinaire richesse, où l’on traverse plus l’histoire, la littérature, les mythes, que les gares. À la fois témoignage d’une période de transition, d’un pays qui se cherche encore et bel exposé des particularités de ce peuple à l’histoire fascinante, Transsibérien nous emporte ailleurs, et, enfin, loin des clichés négatifs et ignorants que l’Europe s’est forgée de la Russie.
(À propos d’un ouvrier Russe, qui a fait le tour de la Sibérie à vélo pendant quatre ans) : « Rien d’étonnant, donc, que les autorités soviétiques n’aient ni encouragé ni aidé d’aucune façon ce champion solitaire, héros d’une chevalerie périmée. Stakhanov n’était porté aux nues que parce qu’il pouvait servir d’exemple à des millions d’ouvrier. Les quelques russes qui soutirent Travine [l’ouvrier] se souvenaient que oudal, qui signifie « audace », fournit la racine de mots se rapportant à l’idée de “s’éloigner de la maison, partir pour le lointain”. La culture de la vaillance est attachée dans l’inconscient “russe au désir de se perdre dans l’espace, de se fondre dans le non-être »