Métaphysique du Rock #17 Fontaines D.C.

Ils ont sorti 3 albums depuis 2019 et la critique s’est systématiquement avérée dithyrambique. Ils ont de surcroît été élus « Best Band In The World » aux BandLab NME Awards (et dieu sait qu’ils ont du goût au New Musical Express). Alors Fontaines D.C., pourquoi est-ce si bien ?

Qu’on se le dise, il est une difficulté à aimer le rock lorsque l’on est issu de la fin du XXème siècle. N’ayant vécu la genèse de ce genre musical, on aime passionnément et respectueusement les anciens. Néanmoins, on rêve de leur connaître une équivalence moderne. Le jeune passionné de rock – entendez celui né après 1980 – est confronté à cette dichotomie, celle d’admirer les aînés en espérant toutefois les voir surclassés par d’effrontés contemporains, ceux qui apporteront de nouveaux jalons. On manque dès lors d’objectivité et, sous couvert de l’euphorie de la nouveauté, on attribue des épithètes grandiloquents à des artistes émergents. Puis l’on se remet un vieux disque et la vérité nous saute aux oreilles : le fossé n’est que rarement franchi. Soyez rassurés, Fontaines D.C. l’enjambe aisément cette rigole.

Dans les années 2000, on a voulu voir en moult groupes les porte-étendards du blason rock estampillés XXIème siècle. Ceux-là même qui seraient les héritiers du vieux monde et conquérants du nouveau. Pêle-mêle, les Whites Stripes, le BJM, les Strokes, Arcade Fire, les Libertines, les Black Keys, les Arctic Monkeys (et tant d’autres) ont été érigés en têtes de proue de ce renouveau.

« I don’t belong to anyone »

Qu’en restera-t-il dans quelques décennies ? Les susmentionnés seront-ils considérés un jour comme les Stones ? On ne saurait se prononcer. Pas plus qu’en ce qui concerne l’importance qu’aura Fontaines D.C. dans le futur. Toutefois, l’on peut s’enorgueillir de se sentir témoin de l’émergence d’un groupe qui suscite des émotions fortes chez ses auditeurs. Les trois disques déjà parus feront date, conséquence d’un big bang post-punk hypnotique explosant en 2019.

Avec Dogrel, A Hero’s Death et Skinty Fia le quintet irlandais pèse aujourd’hui de tout son poids sur la scène rock. Les festivaliers, entre autres, ont pu assister l’été dernier à des prestations diablement abouties. À Rock en Seine, Fontaines D.C. a magnifié la tombée de la nuit et fait ombrage aux Arctic Monkeys. Excusez du peu. Mais il fallait qu’il en soit ainsi. La bande de Grian Chatten devait éclipser celle d’Alex Turner.

Poésie nocturne

Souvenons-nous que, d’emblée, le groupe a exposé son univers, un univers que l’on pénètre dès la première écoute, et ce peu importe le morceau. Peut-être n’écoutons-nous pas Fontaines D.C. mais plutôt nous confrontons-nous à leur musique, à cet univers donc. On peine à en cerner les limites. En existe-t-il de toute manière ? On s’y perd, on y erre et on prend conscience que l’on est ravi d’être désorienté. On n’admire jamais mieux les étoiles que lorsque l’obscurité est totale. Fontaines D.C. est cette obscurité étincelante, celle dont le contraste permet aux astres de briller si intensément. Fiat nox écrivait Leconte de Lisle.

Le rapport à la poésie est fondamental dans la construction du groupe puisque c’est elle qui a permis la rencontre des membres. Ils se sont d’abord essayés à l’écriture de deux recueils collectifs avant d’enregistrer des disques. En tout état de cause, cela transparaît sur les albums. L’aspect récitatif résulte vraisemblablement de cet amour du mot et du sens. La qualité de l’interprétation est une conséquence de la diction poétique. Les mots sonnent justes, vrais, comme des constats amers de témoins désabusés par ce qu’ils voient. Sans doute est-ce là également une clef du succès. Comment ne pas être un brin cynique quand l’on observe la façon dont tourne le monde ? Et mettre des mots et des émotions sur un sentiment collectif, c’est cela une œuvre d’art.

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