Sebastien Japrisot est le romancier dont les héros sont des héroïnes. Un concept qui devrait plaire à mon copain Charles Chinasky (le ninja du blog, pas l’écrivain américain). En effet, Charles déplorait récemment, dans ce billet, que la place de la femme dans le cinéma passé et présent soit trop souvent celle d’un faire valoir pour l’héroïsme masculin.
Sébastien Japrisot est le pseudonyme pris par l’écrivain marseillais Jean-Baptiste Rossi (1931-2003) pour écrire des romans policiers (c’est aussi l’anagramme de son patronyme). Il ne voulait pas entacher son nom avec de la littérature de gare ou des romans qui ne rencontreraient pas leur public. Mais bien sûr, c’est tout le contraire qui s’est produit, les cinq polars écrits sous le nom de Japrisot sont tous des bombes atomiques et Japrisot a éclipsé Rossi.
L’auteur a écrit six romans et ce sont tous des must read. Du genre tu le prends, tu ne peux plus le lâcher. Et cela, pour trois raisons.
La première, c’est que Sébastien Japrisot sait construire des intrigues compliquées et tortueuses, partir de la fin, jouer sur les hésitations, les non dits et le doute pour t’envoyer sur des fausses pistes qu’il balaye d’un coup de crayon dans le chapitre suivant.
La deuxième c’est que Sébastien Japrisot est un portraitiste de talent. Pour chacun de ses romans, il construit une galerie de personnages forts et marquants. Notamment les femmes. Car le héros du roman de Japrisot est souvent un héroïne. Une femme complexe, sexuellement attirante, mais qui en doute. Parfois un peu folle, ou qui le pense. Une femme qui porte les stigmates de son passé. Mais avant tout, une femme indépendante, libérée et déterminée.
La troisième, c’est que Sébastien Japrisot est un putain de bon écrivain. Ses textes sont riches, puissants, émouvants.
Mais ce qui est également formidable avec l’oeuvre littéraire de Japrisot, c’est que cinq de ses six romans ont été adaptés au cinoche, et pas par des manchots. Tu as donc à la fois des super bouquins et des super films. Ce qui te permet, certes de voir les films au lieu de lire les bouquins mais également de voir les films ET de lire les livres. Je te propose donc une petite promenade où on croise le livre, l’héroïne et le film.
Compartiment Tueur
Le livre parait en 1962. Le film sort en 1965. Il est réalisé par Costa Gavras sur un scénario de Jean Anhouil et c’est Simone Signoret et Yves Montant qui se donnent la réplique.
On va pas se mentir, c’est pas mon préféré. C’est un polar très classique avec une unité de lieu, un crime et l’enquête qui s’ensuit. Mais il y a déjà la patte Japrisot, avec la multiplication des fausses pistes. On retrouve une femme étranglée dans le train-couchette Paris-Marseille. L’enquête est compliquée car les cinq autres occupants du sleeping se font également étrangler…
Piège pour Cendrillon
« Mon nom est Michèle Isola J’ai vingt ans L’histoire que je raconte est l’histoire d’un meurtre Je suis l’enquêteur Je suis le témoin Je suis la victime Je suis l’assassin Je suis les quatre ensemble, mais qui suis-je ? »
Le livre parait en 1963 et André Cayatte l’adapte en 1965.
Sébastien Japrisot présente son roman sur l’amnésie. Un thème qui peut donner lieu à du croustillant dans le genre découvertes, révélations, faux-semblants et tromperie. L’amnésique découvre peu à peu le salaud qu’il était avant de perdre la mémoire. Il se demande aussi s’il est bien la personne qu’on lui affirme qu’il était. Bref, un jeu de miroirs, un jeu de dupes, un bon thriller. Le personnage central est une femme forte mais manipulée, trompée. Roman d’éducation, roman noir, peu à peu notre héroïne tisse avec le lecteur la trame de son histoire. Elle en ressort grandie? Victorieuse? En tout cas changée… Un grand roman noir donc, comme le suivant.
La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil
Le livre sort en 1966, la première adaptation ciné est faite par Anatole Litvak en 1970 et une seconde vient de sortir, réalisée cette fois-ci par Joann Sfar.
Dany est une gentille secrétaire complètement myope, pas mal complexée aussi. Un soir son patron dont elle est un peu amoureuse lui demande de venir taper un rapport urgent chez lui, parce qu’il en a besoin le lendemain et que c’est plus facile comme ça (oui parce qu’on est dans les années 60 et qu’on tape un rapport sur une Remington, pas sur un mac). La bonne Dany croit deviner une proposition indécente derrière le prétexte et s’empresse d’accepter, non sans mettre une petite tenue affriolante, dénouer son chignon austère. Sauf que la proposition n’a rien d’indécent et Dany se retrouve à taper le rapport tandis que Monsieur et Madame vont à un cocktail. Le lendemain matin, le patron demande à la secrétaire de conduire la petite famille à l’aéroport avant de ramener la flamboyante Thunderbird au garage. Sauf que la petite Dany décide de prendre la route de la Cote d’Azur plutôt que celle du pavillon du boss. Et là elle croise des gens qui disent l’avoir déjà vue la veille dans la même voiture, mais en sens inverse. Alors que non…elle croise aussi un gentil rital un peu marlou qui la saute et lui pique sa caisse et elle se demande si elle est pas en train de tourner foldingue.
Le livre est génial, le film de Sfar est agréable, hyper typé années 60, avec de très bons décors, une jeune actrice choucarde comme tout. Je dois reconnaître que la narration est un peu compliquée et la fin didactique à la Scoubidou un peu fastoche (mais c’est pareil dans le livre, donc bon…) Dans l’ensemble, le film de Sfar restitue bien l’ambiance, l’isolement, la peur, le doute. Il met bien l’héroïne au centre du tableau.
L’été Meurtier
Faire d’un excellent livre un excellent film, çà n’est pas si facile que çà.
Adjani est à baffer, Souchon est désarmant de naïveté, les seconds rôles sont taillés sur mesure…croiser le livre et le film est un vrai bonheur. Même si tu as vu le film, et à plus forte raison si tu l’as aimé, il faut lire ce polar de Sébastien Japrisot.
C’est une histoire sombre et triste. Celle d’une vengeance longuement préparée, transgénérationnelle. C’est une fille un peu folle, la beauté sauvage de la montagne, qui chercher à tout prix à venger le viol de sa mère par trois déménageurs, viol dont elle est le fruit….Elle sait que les trois mecs trimbalaient un piano mécanique, d’où ils venaient, ou ils allaient. Et c’est un peu tout. Les pianos mécaniques, c’est pas super courant, et donc quand elle en trouve un dans une grange, elle suppose qu’elle a retrouvé l’un des trois salauds. Elle se marie donc avec son fils et commence à retisser l’histoire pour dénicher les deux autres larrons. Je te la fais courte mais on te la racontera plusieurs fois vu que chacun des protagonistes y va de sa version sur ce qui s’est vraiment passé. C’est justement l’une des forces du film et du livre, incarner chaque nouveau narrateur en lui donnant un style et un point de vue propres…C’est un exercice dans lequel Sébastien Japrisot excelle, et que Jean Becker a restitué avec talent. Le livre est sorti en 1977 et le film de Becker en 1983. Il a décroché 4 César.
Un long dimanche de fiançailles
Le plus récent des livres (1991) adapté par Jean-Pierre Jeunet en 2003. Le livre marque une rupture stylistique. Sébastien Japrisot s’essaye au roman historique. Il nous précipite à la fin de la première guerre mondiale dans l’histoire d’une jeune handicapée persuadée que son fiancé n’est pas mort à la guerre qui se lance à sa recherche. Le roman est bavard, la narration se traîne, tourne en rond. Sebastien Japrisot joue avec les mêmes codes que l’Eté Meurtrier (une quête absurde, des moyens limités, une histoire racontée par plusieurs personnes), mais ça ne prend pas. Et qui dire de l’adaptation de Jean-Pierre Jeunet, sorte de préquel à Amélie Poulain. Avec une Audrey Tautou qui joue exactement sur le même registre, ces couleurs saturées, cette ambiance fête du village, les personnages secondaires un peu con-con (Ticky Holgado, Rufus) et la voix off de Dussolier. Il y a des gens qui aiment. Pas moi.
Je ne te parlerai pas de La Passion des femmes car même si on reste sur le même genre de narration, même si les héroïnes sont des femmes, il n’a pas été adapté au ciné. Et c’est le fil conducteur de mon billet.
Pour conclure, s’il n’y a que six romans de Sebastien Japrisot, ils sont tous extra (modulo le dernier, mais ce n’est que mon avis). Et le style Japrisot a fait des émules. Si tu aimes Japrisot, tu devrais aussi jeter un cil à certains romans de Thierry Jonquet: La bête et la belle, Mygale, Mémoire en cage, Mon vieux. Dans un genre plus récent, mais tout aussi efficace, avec également des personnages féminins puissants, une narration tordue et des intrigues bien ficelées, je te recommande également Pierre Lemaïtre: Robe de Mariée, Alex, Cadres Noirs, Au revoir là-haut…
L’été touche à sa fin, mais tu n’es pas obligé de lire seulement à la plage, je t’ai fait une liste de lecture d’enfer pour la rentrée!