« Les failles finissent toujours par s’agrandir. »
J’avais détesté « La liste de mes envies ». Je l’avais lu parce que tout le monde le lisait, et qu’il fallait bien comprendre ce que les autres pouvaient lui trouver, pourquoi le bouquin avait pu rencontrer un tel succès. L’intrigue était trop facile, la morale un peu pathétique, les phrases bancales et la portée du message inexistante à mes yeux.
Par hasard, je me retrouve à la bibliothèque sans savoir quoi lire. Je tombe alors sur « L’écrivain de la famille » et je cède, estimant que je pourrais au moins me distraire, sinon écrire une critique facilement assassine.
ERREUR. Ma haine pour ces écrivains « commerciaux » (Musso, Lévy ou encore Nothomb…), petite case dans laquelle je rangeais aisément Delacourt, était justifiée par ce dégoût de voir l’art littéraire devenir du grand n’importe quoi, comme la musique qui passe sur les radios « jeunes », ou ces blockbusters qu’on va tous voir au cinéma. On a tous les mêmes goûts, décidés en amont par des producteurs et des artistes qui ont bien compris que pour ratisser large, pas besoin de se fouler. Au contraire. Plus l’intrigue est simple, plus les personnages sont caricaturaux, plus la morale ressemble à celle des Disney, mieux ça marchera. Je ne changerai pas encore Delacourt de catégorie, puisque « La liste de mes envies » est un roman de gare pour personnes incapables de lire Belle du Seigneur et donc de relever les fautes de l’auteur à son sujet dans le roman (le genre de chose qui me rend dingue). « La première chose qu’on regarde », le p’tit nouveau qui vient de sortir, ne me rassure pas des masses non plus, mais nous verrons. Seul « L’écrivain de la famille » fait exception.
Un enfant subit une terrible malédiction le jour de ses sept ans, lorsqu’il lit un poème de sa composition à ses parents-à base de pipi caca soit dit en passant. Emerveillés, ils le proclament l’écrivain de la famille et n’auront de cesse de porter tous leurs espoirs sur lui, de l’entrainer dans cette direction sans qu’il lui soit permis de faire autre chose. Mais la famille se délite, les parents s’aiment sans pouvoir réussir à vivre ensemble, le frère handicapé est envoyé dans une institution, la sœur rêve au prince charmant qui hélas lui fera mordre la poussière et notre petit écrivain est envoyé en prison/pension. En grandissant, il découvre qu’il subit toujours les choix des autres, même en amour et qu’il reproduit les erreurs de ses parents. Il souffre de l’éclatement progressif et profond de sa famille, vit dans la nostalgie de l’enfance perdue. Il devra alors apprendre, même si c’est long, à taper du poing sur la table, à choisir pour lui.
« Leur vie semblait toute tracée, même si on peut raisonnablement supposer que carreleur de piscine à Lille ne laisse pas entrevoir une carrière exceptionnelle. Ceci dit, imaginez un enfant dans l’année qui suit le mariage, un crédit pour une petite maison à Wasquehal ou à Ronchin, un dimanche sur deux passé chez les beaux-parents, une 104 en leasing, des vacances en camping dans un an, en club dans trois et vous verrez que toutes les ambitions de carrière se calment. On commence à apprécier ce qu’on a. Le soir, on ouvre une 33 Export, on allume la télé, on rote doucement devant la météo, on finit par se gratter les couilles et trouver qu’on est très bien comme ça. »
Le récit est chronologique, toujours recontextualisé par les artistes en vogue de l’époque et/ou les évènements marquants de la période. Par extension, l’on découvre le contexte de la jeunesse des parents du « petit poète », dont les parcours sont mis en perspective et ainsi le protagoniste tout comme l’auteur et les lecteurs finissent par comprendre qu’il est inutile d’en vouloir à ses parents de n’avoir pas toujours été à la hauteur, d’avoir beaucoup attendu de leurs enfants… surtout pour guérir ce qui est cassé chez eux. Pardon et compréhension sont, à juste titre, les maitres mots de ce roman, dans la construction de soi. L’écrivain doit se délester de ce poids pour apprendre à se construire lui-même, à choisir sa vie. Le récit, malgré la tristesse qu’il véhicule à travers la description de vies fades et subies n’en est pas moins un message d’espoir : On peut se réaliser à tout âge, découvrir ce qu’est « être en accord avec soi-même ». C’est le récit du deuil de l’enfance, des premières déceptions face à la vie d’adulte et de l’affirmation de soi.
Delacourt impressionne par sa capacité d’écriture (…et j’ai du admettre qu’il savait y faire, le bonhomme, finalement !) par la profondeur de son récit. Il semble que ce premier roman soit au moins en partie autobiographique et l’on imagine alors la douleur qu’il a fallu pour le mettre en forme. Jamais nombriliste comme hélas beaucoup le deviennent, il met de lui dans le roman. Et c’est l’ingrédient secret (plus maintenant !) d’un bon livre. Il faut avoir vécu pour écrire, et même si on aime raconter des histoires, ça ne suffit pas ; les plus belles sont celles qui sortent par la violence et l’exorcisme de ses démons.
Titre : L’écrivain de la famille
Auteur : Grégoire Delacourt
Editeur : JC Lattès
ISBN : 9782709635479