WHISKY…
Accueilli froidement par le public au Festival de la Mostra à Venise, Mother ! de Darren Aronofsky rencontre également un accueil mitigé depuis sa sortie en France le 13 Septembre 2017. Pourtant, le dernier film du réalisateur de Black Swan ou encore de Requiem For A Dream était fortement attendu. A l’issue d’une première partie tenace et haletante, digne d’un excellent thriller psychologique, le long métrage bascule effectivement dans un second acte relevant d’un grand n’importe quoi gerbant, sexiste et faisant l’apologie des grands épisodes bibliques. Pour votre information : cette chronique sera jonchée de spoilers.
Mère (Jennifer Lawrence) et Le Poète (Javier Bardem) vivent dans une grande bâtisse au style victorien, maison qui se situe au milieu de nulle part (en pleine campagne). Tandis que Le Poète cherche l’inspiration pour écrire à nouveau (nous comprenons qu’il est auteur de pièces de théâtre), Mère s’active à faire l’intégralité des travaux de cette ancienne bâtisse : elle repeint entièrement des murs à semi-délabrés et bricole tout ce qu’elle peut remettre à neuf.
Un soir, L’Homme (Ed Harris) frappe à la porte. Ce mystérieux inconnu cherche un hébergement pour la nuit et, très vite, Le Poète lui propose de rester pour la soirée. Petit à petit, Le Poète et l’inconnu sympathisent, au grand dam de Mère. Les deux hommes deviennent complices, et L’Homme ne tarde pas à s’installer dans l’une des chambres de la maison.
Jusqu’au jour où La Femme de cet inconnu (Michelle Pfeiffer) frappe à la porte, à la recherche de son mari. Accueillie avec bienveillance par Le Poète, elle envahit à son tour le quotidien du couple. L’Homme et sa Femme semblent étrangement proches du Poète, comme s’ils étaient des amis de longue date.
Il arrive donc le moment où Mère demande des explications au Poète, car elle n’est absolument pas consultée sur le “squattage” de ce couple. C’est alors que Le Poète révèle à Mère que L’Homme est gravement malade et sur le point de mourir : il est venu de très loin pour le rencontrer, Lui Le Poète, car il est un fan inconditionnel de ses écrits…
Peu à peu, une ambiance pesante se tisse dans ce huis-clos où l’intimité de Mère et du Poète est brisée par l’invasion grandissante de ce couple mystérieux. La Femme est intrusive, curieuse… Elle finira par briser un objet précieux appartenant au Poète : un diamant qu’il garde dans une pièce secrète où il ne souhaite voir personne. Cet évènement déclenche la première perturbation choquante du thriller : il installe définitivement une première partie à suspense où le spectateur se questionne de plus en plus sur les liens qui se créent entre les protagonistes. Jusqu’ici, tout va bien…
En effet, la première partie du film est brillamment réussie ; et la narration se déroule dans une atmosphère inquiétante de manière subtile et savamment rythmée. Le jeu des acteurs, et notamment celui de Javier Bardem, y sont pour beaucoup. Dans sa veine relevant du thriller psychologique, le film est une perle de stress qui provoque la montée d’adrénaline chez le spectateur.
Le Hors Champ, notamment, a une très grande importance : la maison semble effectivement garder des secrets qui mettent mal à l’aise le personnage de Mère.
De même, Darren Aronofsky semble installer petit à petit un argument cinématographique fort dans son film : ce que nous voyons n’est-il pas, au final, une vaste mise en abyme ? Le spectateur amateur de cinéma se questionne sur l’éventualité d’un méta film où la maison pourrait symboliser le livre ; et les personnages des protagonistes de fiction qui jailliraient de l’esprit du Poète, en pleine écriture à l’intérieur de son propre livre/film.
Le Climax parvient lorsque les deux fils du vieil homme et de la Femme font à leur tour irruption dans la demeure du couple formé par Mère et Le Poète. En effet, L’Homme vient de rédiger son testament, et ses deux fils se disputent alors la part du gâteau en ce qui concerne l’héritage. Tout d’un coup, ils en viennent aux mains, et l’un des deux tue son propre frère par maladresse en lui fracassant le crâne sur le sol. C’est ici que le film bascule lentement vers un second acte que nous ne pourrons cautionner et – de surcroît – critiquer en bloc de façon outrageuse.
… NOT WHISKY
Pris d’une bonté absurde et insensée, Le Poète décide d’inviter une grande partie de la famille – ainsi que des amis proches – de l’Homme et de La Femme chez lui : il organise avec eux une veillée funèbre qui doit – à son sens – “célébrer la vie”. Pourtant, un meurtre vient d’être commis, et l’heure est étrangement à la fête. Les convives arrivent par dizaines et vandalisent une grande partie de la maison qui devient un vulgaire chantier…
C’est donc très naturellement que Mère est poussée à bout et parvient à mettre tout le monde dehors. Une violente dispute s’en suit avec le Poète, où elle lui reproche de ne pas avoir écrit une ligne depuis des mois. Elle craque et lui balance ses quatre vérités à la face : elle lui consacre sa vie, et il ne la baise plus. Il n’en faut pas moins pour réveiller en Javier Bardem un instinct animal et une libido endormie depuis des lustres.
A l’issue d’une nuit torride, Mère est persuadée d’être tombée enceinte, ce qui se révèle être exact par la suite. Par le plus grand des hasards, Le Poète retrouve à son tour une inspiration qui l’avait fui depuis trop longtemps : il se met à écrire un best-seller. Plusieurs mois s’écoulent…
D’emblée, ce qui fait tâche est la soudaine disparition de nombreux protagonistes en plein cœur de la narration : Darren Aronofosky élude toute la première partie de l’histoire – et avec elle l’intrigue du genre “thriller” – puisque L’Homme et La Femme ne reviendront pas. Nous basculons de manière abrupte dans un second film qui n’a plus rien à voir.
Seul le motif de la “maison” fait le lien avec ce qu’il va suivre.
Un soir, alors que Mère a préparé un succulent diner pour Le Poète (ils célèbrent la parution du dernier livre de ce dernier), les fans arrivent peu à peu à la porte tandis que nous sommes toujours au beau milieu de nulle part. Très rapidement, ils sont des centaines à faire la queue sur le pas de la porte afin de se faire dédicacer leur exemplaire du best-seller. Dans un nouvel élan de bonté incongru, Le Poète les invite tous à rentrer dans la maison de Mère et de lui-même.
Et c’est précisément ici que le long métrage prend un virage à 180%, ce qui est dommageable et controversé en termes de sens et d’intentions.
Littéralement, Javier Bardem devient Dieu aux yeux de tous : la maison est subitement envahie par des personnes de tous bords qui souhaitent “toucher” Le Poète. Mère bascule en plein cauchemar : ces centaines d’inconnus arrachent des pans entiers de murs, les éviers et dérobent tout ce qu’ils peuvent voler. Ils pillent les vivres du couple, les livres, les objets de décoration… Mais Javier Bardem justifie de tels actes par la phrase suivante :
“Le Poète partage tout”
Bien que la mise en scène soit prodigieuse et d’une violence rare, L’Apocalypse biblique s’installe de plus en plus rapidement. Mère commence à éprouver des contractions, tandis que le Chaos gagne la maison. Une guerre éclate au cœur de la bâtisse, détruisant tout sur son passage. Malgré cela, ils sont des centaines à exercer leur culte du Poète dans les débris et ce qu’il reste des pièces de la demeure. Les bombes pleuvent de toutes parts (?!?) et des massacres sont perpétrés.
Petit à petit, Mère se met à incarner Marie Madeleine sur le point d’accoucher de Jésus. Javier Bardem parvient à la mettre à l’abri dans sa pièce secrète (celle du diamant brisé) ; pièce qui est le dernier refuge encore habitable de la maison. Marie Madeleine accouche, et Le Poète/Dieu lui enlève alors leur bébé afin de le montrer aux fidèles.
Le nourrisson est enlevé et dépecé par les fanatiques.
Littéralement, la scène du “Ceci est mon sang…” se joue donc sous nos yeux. Lorsque Mère se rend compte que son bébé a disparu, et que les “convives”/fidèles sont en train de se partager le cadavre du nourrisson, elle est traitée de “pute” et tabassée par ces mêmes fidèles… Je m’arrêterais là en termes de “spoilers” afin de vous laisser découvrir la fin. Un indice, un seul : après l’Apocalypse, La Genèse s’installe, et avec elle jaillit un Éternel Recommencement…
Je ne comprends vraiment pas pourquoi Darren Aronofsky ne s’est pas contenté de réaliser un thriller efficace et plus simple, en s’attachant à approfondir les liens qu’il tisse entre Mère, Le Poète, L’Homme et La Femme. En changeant de sujet et de genre, il saborde lui-même une intention et une narration qui s’étaient subtilement installées.
Quid de l’image de la femme ? Nous retenons effectivement – et entre autre – que Darren Aronofsky est en fin de compte un artiste empreint d’une misogynie flagrante.
Non seulement Jennifer Lawrence symbolise la mère au foyer douce et asservie, mais elle devient de plus le personnage de la “putain” en incarnant – littéralement – Marie Madeleine. Le Poète, pour sa part, n’est autre qu’un artiste maudit et machiste qui l’opprime, sous prétexte d’être une divinité adulée par ses lecteurs…
De même, n’est-il pas risqué et tendancieux de réaliser un film faisant l’apologie d’une religion en ces temps troubles et sujets aux amalgames de toutes parts ? Quelle est l’intérêt de Darren Aronofsky à vouloir mettre en avant une religion plutôt qu’une autre en mettant en scène la Bible ?
A l’instar d’un Lars Von Trier, Darren Aronofosky semble à son tour avoir été touché par une sorte de Foi ou de croyance. Il n’en demeure pas moins que l’argument avancé est pro-chrétien et qu’il ne relève même pas d’un sens caché.
De toute façon, ce 35 mm perd toute sa crédibilité et sa tension dramatique dans le second acte : nous ne pouvons croire à ce qui se joue sous nos yeux. Par moments, le réalisateur tente de glisser quelques éléments de surnaturel qui ne fonctionnent pas : nous n’adhérons pas au fait que cette maison est un personnage à part entière qui “vit” sous nos yeux. Le film devient une sorte de fourre-tout catholique qui oscille entre le récit didactique de la Bible, le thriller et le film fantastique.
Alors que nous aurions pu assister à un long métrage dérangeant, nous ressortons de Mother ! avec l’envie paradoxale de rire devant tant d’anarchie, de non-sens et de “montré” littéral. Au final, les arguments y sont écœurants dans les partis-pris d’intentions et de réalisation filmique. Nous ne retenons que l’envie claire et précise de faire une film de propagande religieuse de la part de son auteur.
En dégustant un Lagavulin qui tient au corps, je discute de Mother ! avec Vania, le patron du London. Sa théorie est la suivante : “De toute manière, avec Trump au pouvoir, on risque d’en voir des films puritains aux States !”. Sans être complotiste, je médite à cette phrase en me délectant d’un très bon whisky, à mille lieues des Clan Campbell et autres bourbons de bas de gamme.
J.M.
Mother ! (actuellement en salle)
Batleo
Votre texte est très bien rédigé et agréable à lire. Je ne partage pas votre interprétation de film pro chrétien en revanche. Au contraire, le sort de Mère et la dernière image me laissent penser que le réalisateur met en relief la profonde hypocrisie des valeurs proclamées par les textes alors qu’en fin de compte, la femme y est toujours présentée comme un objet. De tentation de surcroit. En outre le poète est montré comle une sorte de faux messie, prêt à laisser tuer son enfant pour la gloire en se cachant derrière un discours de rédemption et de spiritualité. Je trouve le message assez féroce.