Ce dimanche, on va enfin tourner la page de l’année ciné 2020. La cérémonie des Oscars fera-t-elle la part belle aux femmes cinéastes ? On en parle avec Yaël Yermia du blog Movieintheair.
Tous les ans, je m’interroge sur la pertinence des récompenses dans le milieu artistique. Au-delà de leur valeur parfois futile et subjective, nul doute en tout cas qu’elles symbolisent une chaîne de production et de distribution qui ne valorise pas les récits féminins. Amusons-nous avec les gagnants de l’Oscar du meilleur film :
En 92 ans, un seul a été mis en scène par une femme : Démineurs. Dans les 15 dernières années, un seul a un personnage féminin principal : La Forme de l’Eau. Si on veut un point de vue féminin primordial (un film ayant reçu des nominations uniquement pour ses comédiennes), il faut remonter à Titanic (1997) !
Mais toutes ces stats pourraient tomber cette année grâce à deux films. Tout d’abord avec Nomadland, l’odyssée poétique de Chloé Zhao. Et presque plus impressionnant : Promising Young Woman, le premier long-métrage de l’actrice Emerald Fennell (The Crown). On y suit Cassie, interprétée avec brio par Carey Mulligan (que vous avez sûrement déjà vue dans Drive, Shame ou Inside Llewyn Davis). Animée par une vengeance intarissable, elle nous promène de surprise en surprise tel un bonbon vénéneux, sans jamais tomber dans le piège d’un style trop cool pour son propre bien.
Ces deux œuvres sont-elles de belles anomalies ? Voici quelques éléments de réponse.
AOW : Bonjour Yaël, merci pour ton blog. J’aime beaucoup tes sélections thématiques, notamment celle pour la journée des droits des femmes. J’ai l’impression que cette folle année 2020 a proposé de nombreux rôles féminins forts dans les fictions ciné & séries. Partages-tu ce sentiment ?
Yaël Yermia : Je dirais plutôt que l’année 2020 a été très riche en rôles féminins tout court. Le constat est surtout qu’il y a plus de femmes à l’écran qu’avant et c’est une bonne chose mais il y a encore du chemin à faire, surtout quand elles ont plus de cinquante ans.
« Ce qu’on appelle rôle féminin “fort” aujourd’hui, ce sont des rôles que les hommes ont depuis toujours dans les films et que pourtant on ne qualifie pas forcément de forts. »
Aujourd’hui, les femmes ont des rôles qui correspondent à des personnages qui existent, non parce que ce sont des femmes ou des hommes, mais simplement parce que ce sont des personnages riches, complexes et pas simplement des femmes qui mettraient en valeur un homme. D’ailleurs, j’ai l’impression que les séries contribuent à offrir plus de rôles aux femmes et aux minorités et je trouve cela très positif.
AOW : L’absence de tapis rouges et de grands évènements médiatiques semble avoir permis de se concentrer sur les histoires. Deux films portés par de jeunes réalisatrices sont nommés dans les catégories principales des Oscars : Nomadland et Promising Young Woman. Faut-il y voir un changement ?
YY : À la fois oui et non. Oui, car il y a plus de femmes réalisatrices et en cela c’est un changement mais il est très mince. Et non, ce n’est pas un changement car c’est sur les films qu’il faut se concentrer. Ce qu’il faut retenir surtout, c’est que ce sont deux très bons films qui se démarquent par leurs histoires. Mais c’est vrai que cette année est riche en très bons films : Mank et The Father en font partie mais ils ne se démarquent pas de ce que l’on peut voir et sont plutôt des films « classiques ». Nous verrons le résultat aux Oscars pour savoir s’il y a un vrai changement.
Nomadland est un film sublime qui dénonce nos modes de vies actuels par un récit intime. Promising Young Woman nous parle de violence sexuelle. Il y est aussi question de violence sociale, puisque la violence sexuelle se passe dans des milieux sociaux élevés.
« La violence sociale présente dans ces deux films fait écho aux conséquences dramatiques de la pandémie aujourd’hui. »
AOW : Promising Young Woman est un curieux mélange de plaisir pop et de revanche contre un abus systémique. As-tu apprécié ?
YY : Oui, c’est aussi un film dur et l’actrice principale Carey Mulligan mérite un Oscar pour ce rôle. J’espère qu’elle l’aura.
Le scénario est un écheveau et, petit à petit, tout s’enchaîne au moyen de symboles tels que les vêtements qu’elle porte, les décors, le maquillage et la coiffure très colorés. Le tout participe à créer une ambiance pop. C’est vrai que c’est une histoire de revanche. L’entourage de Cassie l’engage à renoncer à cette vie mais cela est plus fort qu’elle et elle devient la porte-parole de toutes les victimes de violences sexuelles. J’ai trouvé aussi que le film était très saccadé, très rythmé. Il faut espérer que ce genre de film fasse évaluer les mentalités et le regard que l’on porte sur les femmes. Mais ça c’est une autre histoire.
https://www.youtube.com/watch?v=PzNRYdyQa8s
AOW : En 2020, tu as aussi publié ton roman Nous Anahnou. Dans quelle mesure sa trame futuriste s’inscrit-elle dans notre présent ?
YY : L’action du livre se passe en 2150. Les thèmes de la mémoire, de la montée des extrémismes et des enjeux de pouvoir dans le monde y sont associés. En ce moment, partout dans le monde, nous assistons à cette montée des extrémismes et récemment l’actualité pose également un vrai problème de justice et du rapport de la France à l’antisémitisme. Je pense notamment à la récente décision de la Cour d’appel de Paris qui a conclu à l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré dans l’assassinat de Sarah Halimi.
Nous Anahnou est un roman qui parle aussi de tout ce qui relève de la technologie et du virtuel, des écrans en passant par les implants et les drones, mais aussi des trafics, des dangers qui pèsent sur les démocraties aujourd’hui et bien sûr de l’écologie. Il est publié chez une jeune maison d’édition, les éditions De Beauvilliers. Tout le monde peut le commander à son libraire ou sur les plateformes en ligne. J’ai récemment été interviewée sur le roman par une chaîne qui s’appelle Fée Noménale et qui promeut les autrices (vous pouvez écouter l’interview ici).
AOW : Merci Yaël. On croise les doigts pour Carey Mulligan. Je pense que l’Oscar va se jouer entre elle et Viola Davis (Le Blues de Ma Rainey).
YY : Merci beaucoup pour cette interview. Vous pouvez me suivre sur Movieintheair et le podcast Falafel Cinéma.