La claque “Everything, Everywhere, All at Once” (ce n’est pas forcément un compliment)

Ce petit film qui a marqué le box-office américain est aussi grisant qu’éreintant.

Evelyn est au bord de la crise de nerfs : son lavomatic, son mariage, sa fille lui glissent entre les doigts. Rien ne semble pouvoir dévier son quotidien d’un ordinaire plus bas que terre. Au cours d’une visite au contrôle des impôts, la réponse s’offre à elle : son monde n’est qu’un parmi des milliers et la réponse à ses tourments se trouve au bout d’une quête bizarroïde qui pourra la sauver, elle, ainsi que l’univers tout entier.

“Tout, partout, tout à la fois” : il y a dans Everything… une telle profusion qu’on ne sait par où commencer. Michelle Yeoh, déjà, est grandiose dans le rôle d’Evelyn qui lui permet de remettre en avant ses talents en arts martiaux, deux décennies après Tigre & Dragon. Toute la distribution du film est au diapason, à commencer par sa fille Joy (Stephanie Hsu) et son mari (Ke Huy Quan, ex-enfant star des Goonies et Indiana Jones 2). Jamie Lee Curtis s’amuse comme une petite folle dans le rôle de la contrôleuse des impôts.

Les réalisateurs Daniel Kwan et Daniel Scheinert (que l’on nomme simplement les “Daniels”) ont mis toute leur énergie dans cette œuvre personnelle, surtout pour Kwan qui, comme Joy, a grandi en Amérique du Nord dans une famille d’immigrés chinois. Hélas, leur montage & leur découpage sont à deux doigts de l’hystérie.

Action / Réaction

Le nihilisme de l’antagoniste du film a sûrement fait écho chez bon nombre de spectateurs, en particulier les adolescents. La réponse pleine d’espoir de notre héroïne Evelyn est en béton armé et le film arrive à pondre de beaux moments d’émotion, dont un à base de cailloux (!) et un autre impliquant la petite copine de Joy (“What did he say?”).

Mais quel dommage que tout soit surligné sans cesse. La séquence d’introduction est un hommage aux bureaux de Thomas Anderson/Neo dans Matrix, on l’aura compris, mais très vite on n’en peut plus d’entendre des “Evelyn!” à tout bout de champ. Il y a une bonne demi-heure de baston en trop dans cette histoire et surtout un manque de confiance dans l’attention du spectateur. Comme nous, Michelle Yeoh ne fait trop souvent que réagir à ce qui lui arrive. Les mondes parallèles entraperçus ne sont pas assez mis en avant et on regrette de passer la plupart du temps entre le lavomatic et le banal centre des impôts.

D’où un sentiment partagé devant cette aventure qu’on m’avait promise si belle, auréolée d’un joli succès aux États-Unis, là où les jeunes spectateurs s’aventurent rarement pour autre chose que des productions Disney/Marvel. Mais figurez-vous qu’Everything… est produit par les frères Anthony & Joe Russo qui ne sont autres que les réalisateurs des deux derniers Avengers… On ne se refait pas.

Suis-je devenu hermétique à ce genre d’humour “méta”, ce flow de références pop autour d’un noyeu pseudo-philo qui englobe tout et qu’on voit partout, de Rick & Morty aux Lego Movies en passant par les cartoons Gumball ou Gravity Falls ? La relation entre Evelyn et Joy m’a ainsi rappelé Les Mitchell contre les machines, mais aussi Alerte Rouge (Turning Red), sorti en mars sur Disney+, là aussi l’histoire fantastique d’une mère et sa fille d’origine chinoise. Mais le dessin animé Pixar savait mieux planter ses personnages avant de les embarquer dans leur course folle.

“Swiss Army Man” (2016)

Comme son titre l’indique, Everything… tente tout, partout, quitte à faire trop. Et si un format plus court convenait mieux aux Daniels, clippeurs très doués ? Leur premier long-métrage Swiss Army Man était un peu moins fatigant pour les yeux : c’est une histoire rigolote de cadavre péteur avec Daniel Radcliffe et Paul Dano et ça a le bon goût de ne durer qu’1h30. On leur souhaite de trouver des producteurs qui sauront canaliser leurs idées, à l’image d’autres petits génies du clip débarqués au ciné il y a 20 ans : Michel Gondry (Eternal Sunshine of the Spotless Mind), Spike Jonze (Her), Jonathan Glazer (Under the Skin). Je vous laisse avec les meilleurs clips de Daniel & Daniel, ainsi que Possibilia, leur vidéo interactive où ils exploraient déjà le concept du multivers.

Everything Everywhere All at Once est sorti au cinéma le 31 août. Swiss Army Man est disponible sur OCS.

 

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