J’AI TROUVE L’AMOUR CHEZ CELINE
Envie de parler de Céline, mais pas envie de rentrer dans le sempiternel débat qui surexcite les deux clans opposés. Oui Louis Ferdinand Céline a écrit des lignes parmi les plus viles qui soient, soit. Oui il est nécessaire de le dire.
Mais avant cela il a écrit le roman monument de la littérature française du XX ème siècle, enfin un des deux avec « La Recherche…. » de Proust. Et on ne peut nier que le « Voyage au bout de la nuit» a influencé une grande partie des écrivains français par la suite. On ne peut donc pas effacer Céline d’un revers de la main ou d’une sentence définitive, de toute manière cela serait vain puisqu’ il est là, bien présent, niché dans nombre de livres que vous avez lus ou que vous lirez, dans certains dialogues de cinéma ou paroles de chansons, tous «éclairés » de son ombre sombre, présent non pas par ses idées nauséabondes mais son style elliptique et brut, empruntant à l’argot et au langage parlé pour en faire un torrent de mots puissant et tranchant. Celine c’est pas bienveillant, avenant, mais pour qui prend la peine de gratter la couche de crasse, il y trouvera des trésors d’écriture.
C’est que LFC semble tremper sa plume dans la bile, la boue et toutes les plaies de l’humanité. Le ton est volontiers acerbe, cru, sans concession, libertaire voire anarchiste. Il nous claque en pleine face l’absurdité de la vie.
Le « Voyage … » a été publié en 1932 soit dix ans après la fin d’ « A la recherche du temps perdu » de Proust. Le texte de Proust transcrit la fin d’une époque, la langue y est sophistiquée, mélancolique et magnifique bien entendu. Le texte de Céline dépeint la modernité de son époque mais s’accompagne d’un dégoût pour cette même modernité, la langue est âpre, amère, directe, ivre de colère. On passe de la révolte à l’écoeurement pour arriver finalement à la résignation. Pas glop.
Extraits :
“Le pire, c’est qu’on se demande comment le lendemain on trouvera assez de forces pour continuer à faire ce qu’on a fait la veille ? Où on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces milles projets qui n’aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l’accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu’il faut retomber en bas de la muraille chaque soir, sous l’angoisse de ce lendemain toujours plus précaire, toujours plus sordide ?… C’est l’âge aussi qui vient peut-être et nous menace du pire… On n’a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie…”
« La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. La vérité de ce monde c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n’ai jamais pu me tuer moi. »
Le « héros » s’appelle Ferdinand Bardamu, le roman est donc en grande partie autobiographique. On accompagne Ferdinand B. dans son long voyage via les mêmes étapes traversées par Louis Ferdinand Céline ; la guerre, les colonies françaises d’ Afrique, les Etats-Unis, le retour en France. Bardamu il a tout vu, et ce qu’il a vu, ben il a pas kiffé. Il revient avec un triste constat : L’humanité c’est tout pourri partout. Homo homini lupus. Plus Hobbes que Rousseau.
Mais c’est dans ce marasme que j’ai trouvé la plus belle déclaration d’amour que j’ai jamais lue.
Ferdinand Bardamu s’est installé aux Etats-Unis, il y fait la rencontre de Molly, une prostituée. Ferdinand n’en a cure, et puis il a ce besoin animal de ressentir la chaleur d’un autre corps que le sien. Il finit par l’aimer. Mais ne supportant plus les USA, ceux du Fordisme, des Temps Modernes de Chaplin, machine à broyer les hommes sur l’autel du Capitalisme, Ferdinand se résigne, lessivé, battu, à rentrer chez lui, en France. Il écrit plus tard ces lignes déchirantes et sublimes et accessoirement objet de ce post:
« Des années ont passé depuis ce départ et puis des années encore… J’ai écrit souvent à Detroit et puis ailleurs à toutes les adresses dont je me souvenais et où l’on pouvait la connaître, la suivre Molly. Jamais je n’ai reçu de réponse.
La Maison est fermée à présent. C’est tout ce que j’ai pu savoir. Bonne, admirable Molly, je veux si elle peut encore me lire, qu’elle sache bien que je n’ai pas changé pour elle, que je l’aime encore et toujours, à ma manière, qu’elle peut venir ici quand elle voudra partager mon pain et ma furtive destinée. Si elle n’est plus belle, eh bien tant pis! Nous nous arrangerons! J’ai gardé tant de beauté d’elle en moi et pour au moins vingt ans encore, le temps d’en finir.
Pour la quitter il m’a fallu certes bien de la folie et d’une sale et froide espèce. Tout de même, j’ai défendu mon âme jusqu’à présent et si la mort, demain, venait me prendre, je ne serais pas, j’en suis certain, jamais tout à fait aussi froid, vilain, aussi lourd que les autres, tant de gentillesse et de rêve Molly m’avait fait cadeau dans le cours de ces quelques mois d’Amérique. »
Une larme sur mon clavier..