Il paraîtrait qu’un professeur de philosophie, au cours d’un travail sur l’esthétisme, aurait donné comme sujet à ses étudiants « Qu’est-ce que l’élégance ? ». L’un d’eux aurait laconiquement répondu « Les Dogs » et aurait eu 20/20.
Formation mouvante autour de Dominique Labourée (qui pour moi est l’alter-ego français de Paul Weller), les Dogs étaient d’émérites chevaliers du royaume du Rock’n roll, les souverains incontestés des terres normandes et de sa capitale Rouen. Seulement, le rock est une contrée aux frontières fluctuantes où les horizons se renouvellent.
Peut-être reste-il toutefois prisonnier de son arbre généalogique. Je m’explique : la nationalité des artistes, et par extension leur langue et leur culture, tout cela a une influence sur la production musicale. C’est logique, le français ne « claque » pas comme l’anglais notamment. Ainsi, le rock français a certainement un côté plus cérébral que corporel – entendez par là qu’il incite moins à se mouvoir – là où les anglo-saxons savent cumuler les deux. Ils ont Dylan et les Sex Pistols, on a Bashung et les Limiñanas (qui font toutefois hocher la caboche avec frénésie).
Dès lors, que se passe-t-il lorsque la langue de Molière est influencée par le garage psyché de contrées anglophones ? Le plus souvent, des gens qui boivent de la bière tiède et fume des clopes pour le plaisir (simple et intense !) de faire de la musique ensemble. Et c’est déjà très cool. D’autres fois – beaucoup plus rare – on obtient des groupes de la trempe des Dogs.
Jadis, la tragédie permettait au spectateur d’éprouver des émotions fortes. M’est avis que le rock partage avec le théâtre cette dimension cathartique. C’en est même son essence. Mais c’est aussi bien plus. Les Dogs cumulent par exemple la force d’évocation de Racine, la hargne de Baudelaire et la fougue de Rimbaud.
« This world is made up of lies / Don’t you ever feel il ?»
Franck Black disait que si des martiens lui demandaient ce qu’est le rock, il répondrait les Ramones. Si lesdits martiens arrivaient dans l’Hexagone, il faudrait leur faire écouter Too Much Class for the Neighbourhood. Bon dieu que cet album est prodigieux. Je me demande même pour quelle raison les anglophones n’ont pas adopté un accent franchouillard au quotidien. Une sombre histoire de visibilité certainement. Trêve de soliloque et revenons au disque. Il serait injuste, presque odieux, de n’en retenir qu’une seule chanson. Toutefois, « The Most Forgotten French Boy » est une merveille. Il me semble qu’il est tout bonnement impossible de se lasser de ce morceau. On peut l’écouter en boucle et toujours éprouver un plaisir intact.
Vous l’aurez compris, je pense que les Dogs méritent bien des compliments et des hommages, comme s’ils n’en avaient pas eus à la hauteur de leur mérite. Je crois que le rock à la française – entendez le Vrai – est prisonnier de cette confidentialité relative qu’a connue la bande de Laboubée. Les Dogs, Bijou et autre Taxi Girl n’auraient jamais rempli un stade comme Johnny. Pourtant, ce sont eux les authentiques, c’est-à-dire les névrosés, torturés et écorchés de la musique. Ce sont eux qui expriment les émotions plurielles de tout un chacun.
« All I want is easy action / All I know is hesitation »
En guise d’hommage, les New-Yorkais des Fleshtones ont justement sorti il y a quelques années une chanson en l’honneur des Dogs et précisément de celui dont « le cœur appartenait au rock and roll ». Venant d’un groupe qui tourne depuis plus de quarante piges, le propos en dit long. Enjoy.
Seems like only yesterday, Dominique Laboubee.
A Norman boy down to his soul, but his heart belonged to rock and roll.
Played like he looked and that was good. Too much class for the neighborhood.
Paris Palace on the stage
Feel the passion, The Dogs played.
A night of magic that we share, yes we know ’cause we were there.
Played like he looked and that was good. Too much class for the neighborhood.
He did it for you, he did it for you, he did it for you, he did it for you.
He did it for you, he did it for you, he did it for you, and he did it for me.
He died in Wormtown across the sea,
Oh so far from Normandy.
But that’s just where he should have been, when he played he lived his dream.
So it’s alright because I know, he came home to the land of rock and roll!
He did it for you, he did it for you, he did it for you, he did it for you.
He did it for you, he did it for you, he did it for you, and he did it for me.
Dominique Laboubee…