Quel que soit la saison…

Ton corps usé, las sur le lit de mort, gît, s’obstine et vit chaque seconde d’une longue agonie…

J’ai vu la mort dans tes yeux clairs s’installer comme en sa demeure. Chaque jour plus conquérante, je l’ai vue piller jusqu’aux dernières forces, accomplir avec horreur et application son oeuvre douloureuse sans que Dame Morphine ne puisse soulager ses assauts. Je l’ai vue investir ta chaire, y ancrer son empreinte, meurtrir et parfaire son chef d’oeuvre. Je l’ai vue s’introduire et se terrer en silence attendant son heure.
Et je me suis vue dans tes yeux stigmatisés de souffrance… J’avais 6 ans, tu me grondais, je ne voulais pas manger ma soupe, tu disais qu’elle ferait grandir, j’en ai mangé plus que les autres et finalement tu vois je n’ai pas tant grandi !Aujourd’hui j’ai 10 ans encore, j’écorche mes genoux sur les sentiers de mon enfance, les plaies sur lesquelles tu soufflais de ces bobos qui s’envolaient m’ont laissé certaines cicatrices… Resurgit des souvenirs le placard aux gâteaux devant lequel on se plantait et où cessaient tous nos caprices d’enfants gâtés patientant les yeux emplis de malice que tu veuilles bien nous gâter plus encore… Je me souviens des cabanes en forêt, du mois de mai, du muguet dont on te couvrait de bouquets, de la carrière aux coquillages, du “trou du loup” où l’on jouait, des cerises en boucles d’oreille, des noisettes et des mirabelles de ton jardin pays des merveilles… Je me souviens des voix d’enfants qui résonnaient dans toutes les pièces de ta maison, autour de la table parfois dix en même temps, le 15 août, quarante au moins ! Je me souviens des rires, des devoirs et des livres de coloriage… De tes genoux où l’on venait s’assoir pour que tu racontes une histoire… Je me souviens d’avoir goûté au bonheur…

Ne me lâche pas la main ! J’ai 1 an. Je ne veux pas marcher toute seule dans le monde des grands.
Ces mêmes grands qui pendant deux mois n’ont rien voulu te dire. Quelques cachets, ça va passer… Et moi je savais, tous les jours que le combat serait perdu. Chaque jour je suis restée à tes côtés, silencieuse, à te veiller et c’est mon impuissance que j’ai contemplée…

L’absence maintenant porte ton nom. Les grands ont pris ton corps. Je n’étais pas prête encore. Ce matin j’embrassais ton front, tu respirais si fort. Ils t’ont mise dans une boite, de celles que l’on enterre. Alors je ne t’ai pas dit adieu, je n’ai pas pu croiser le regard de ceux qui comme moi ont ton sang dans leurs veines. Je ne crois pas en ce Dieu auquel ils t’ont confiée… Moi c’est en toi que je croyais ! Je n’ai foulé les gravillons de l’ allée du cimetière où enfant, j’allais voir ce grand-père, ton mari que je n’ai pas connu. Ta dernière demeure est au fond de mon coeur…

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