Des Femmes qui tombent, de Pierre Desproges

Des Femmes qui tombent, unique et hilarant roman écrit par Pierre Desproges, est une enquête policière en milieu rural sur une succession de meurtres féminins. L’occasion de découvrir le style truculent et la plume exceptionnelle de Desproges, dont le texte qui suit se veut un pastiche.

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Bonjour et bienvenue dans « un dernier livre avant l’apocalypse nucléaire », la chronique littéraire bimensuelle pour bien choisir ses lectures en attendant la mort dans d’atroces souffrances.

Les cavaliers de l’apocalypse approchent et vous ne savez plus quoi lire ?

Les trompettes du jugement dernier retentissent, et vous êtes en quête d’un bon bouquin ?

L’horloge de la fin du monde est à minuit moins une seconde et vous ressentez le besoin d’une lecture solide, puissante, et réconfortante ?

Pas de panique, nous sommes là pour ça. Cette semaine : des Femmes qui tombent de Pierre Desproges.

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Françaises, Français !

Listenbourgeois, Listenbourgeoises !

Cérillacais, Cérillacaises !

Mon Président mon pangolin,

Monsieur le Garde des sots « dupe-on-m’aurait-menti » ?

Mesdames et messieurs les abonnés,

Lecteur-ice chéri-e, mon amour !

Que ma hargne soit décriée, ma fureur, conspuée, et mon ire : honnie !

 

Dans cette morne époque de censure grave, au cours de laquelle je suis désolé de le dire, mais on ne peut vraiment plus rien dire, enfin non, je veux dire : dans cette morne époque de censure grave, au cours de laquelle on peut dire partout, tout le temps et à n’importe quel individu sur Terre, qu’on ne peut plus rien dire, qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire, je vous le demande ?

Tiens c’est marrant, je ne sais plus ce que je voulais dire ? C’est quand même bien dommage, Jupiter me bifle ! (merci mon Jupiter).

Ha ! ça y est, je me rappelle. Je sais ce que je voulais dire !

(La mémoire, c’est comme cet objet en bois inventé par les aborigènes dont j’ai oublié le nom : ça finit toujours par me revenir).

Si la cour de justice m’a sorti ce matin de la médiocrité dans laquelle je n’en finissais plus de m’enfoncer (j’étais en effet en plein rapport sexuel avec une militante du rassemblement national au moment de l’appel de Monsieur le Président), c’est parce que nous devons aujourd’hui nous prononcer au nom de la République Zantrop Française sur le cas de l’individu Desproges Pierre, ô combien illustre apôtre de la gaudriole lettrée et verbeuse, dont la vie fut tragiquement raccourcie par un cancer des poumons alors que lui-même riait à pleins poumons de l’astrologie. Étonnant, non ?

Pierre Desproges en habit de procureur de la République dans une émission du Tribunal des Flagrants Délires
le procureur de la République Desproges Française

Pierre Desproges, dont la fameuse phrase « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui » est encore aujourd’hui utilisée à toutes les sauces et parfois même à contresens, ma chérie, t’es à contresens, pour justifier des propos racistes, sexistes ou plein d’autres adjectifs en –istes, suffixe dégradant et péjoratif que l’on retrouve par exemple chez des catégories aussi viles et méprisables que les touristes, les dentistes ou encore les macronistes.

Pierre Desproges, dont la fameuse phrase « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui », disais-je avant d’être assez grossièrement interrompu par le seul être au monde qui aurait pu se le permettre (c’est-à-dire : ouam) lui colle à la peau depuis toujours comme le capitule de bardane s’accroche au pelage du sanglier en rut lors de la saison des amours.

Attention, tas d’alcooliques anti pass-sanitaires luttant pour une liberté de l’apéro, immondes amas de pseudo-Jean Moulin-à-vent goinfrés d’atroces boursouflures cathodico-hanounesques. J’ai bien dit : bardane. Pas badiane. La badiane, c’est dans l’anisette, alors que la bardane, c’est dans mon pastiche.

D’ailleurs, soit dit en passant, il serait peut-être temps de choisir son camp, à un moment, entre l’apéritif et la Résistance. Car comme le disait si bien Constanze Manziarly, cuisinière attitrée d’Hitler, « on ne peut pas être à la fois aux petits fours et chez Jean Moulin ».

Les questions qui nous taraudent (de Marseille) sont donc les suivantes : peut-on encore rire de tout ? Peut-on encore rire avec n’importe qui ? Comment décoller les languettes papier autour des petits suisses de manière propre et efficace ?

(Non parce que c’est pénible, déjà faut démouler correctement le petit suisse, ensuite faut trouver le bout de la languette, et après faut réussir à la décoller sans s’en foutre plein les doigts, et puis généralement y a la moitié du petit suisse qui reste collée au papier, c’est atroce …)

Mais qu’est-ce qu’on reproges donc à l’accusé des proches ? Euh … Qu’est-ce qu’on décroche à récuser… qu’est-ce qu’on approche à un curé ? Un enfant ? … Pouf pouf … De quoi-t’est-ce donc que mon client Desproges serait-il coupable, à la fin ?

Pierre Desproges avec son fameux costume de scène blanc en train de jouer son spectacle à Morlaix en 1985
PIERRE DESPROGES . COMIQUE FRANCAIS . MORLAIX . FINISTERE . 26 JANVIER 1985 .

Si j’en crois le chef d’accusation, l’individu Pierre Desproges se serait rendu coupable de n’avoir laissé à l’humanité qu’un seul simple unique singulier esseulé roman modestement intitulé Des femmes qui tombent, quand on sait que des auteurs bien moins talentueux mais bien plus vivants que lui en publient pas moins d’un par an sans la moindre vergogne.

Oh, je sais très bien ce que vous allez me demander : C’est non, n’insistez pas ! Je ne citerai en aucun cas le nom de Guillaume Musso ! Je ne livrerai pas en pâture le nom de Gilles Legardinier ! Je ne donnerai que sous la torture le nom de Marlène Schiappa !

Mais que fait l’Édition Française ? à croire qu’on ne lit plus les manuscrits, chez les éditeurs ! Si tant est qu’on les ait lus un jour. Ou pire : qu’on ne publie que ce qui fait vendre, et pas ce qui est littérairement bon ?  Et là, je pose la question : Bolloré-t-il déjà tout racheté ?

Mais je m’égare du roman de Desproges, alors même que ce n’est pas du tout un roman de gare. Revenons donc à nos poussières, qui, comme chacun le sait, se rassemblent en moutons.

D’après Philippe Meyer, cité dans le Schnock n°12 de septembre 2014, Pierre Desproges serait aujourd’hui victime d’un syndrome Pierre Mendès-France, alors que ma sœur est atteinte du syndrome prémenstruel. Les scientifiques se posent encore la question 1°) de comment la soulager et 2°) de quel est le rapport entre les deux syndromes précédents, je vous le demande ?

Victime d’un syndrome Mendès-France, autrement dit : tout le monde aujourd’hui se réclame plus de Desproges que de son vivant.

Or, parmi le tri banal de ses flagrants délires, les œuvres de Pierre Desproges dont le souvenir est encore très vivace chez la plèbe ignare mais néanmoins francophone sont généralement : les Réquisitoires, la Minute de Monsieur Cyclopède, les Chroniques de la haine ordinaire, ou dans une moindre mesure, la bataille de boudins avec Daniel Prévost. Et c’est tout.

Une image extraite d'une captation vidéo du Tribunal des Flagrants Délires - Luis Rego au premier plan (avocat) et Pierre Desproges au second plan à droite (procureur)
Extrait filmé du Tribunal des Flagrants Délires

Jamais, ô grand jamais, on ne cite le roman Des gonzesses qui se taulent (D’ailleurs, c’est bien comme ça qu’il s’appelle ? et si c’est comme ça qu’il s’appelle, est-ce bien de Desproges ?).

Et c’est bien dommage. La preuve : dans Des meufs qui béton, Desproges raconte l’histoire abracadabrantesque (d’ailleurs, par pitié, arrêtez de dire que c’est un mot de Chirac : mettez-vous dans le crâne une bonne fois pour toute que c’est de Rimbaud. La culture, c’est comme les ours polaires, y en a de moins en moins dans le monde, et pourtant tout le monde s’en fout) l’histoire abracadabrantesque d’une hécatombe d’êtres exclusivement de sexe féminin résidant dans le village de Cérillac.

Est-ce là l’œuvre d’un tueur en chéries ?

Dans un style excessivement littéraire, à l’humour corrosif parfois très noir, et sous couvert d’une enquête policière dans la ruralité, Pierre Desproges pointe les travers d’une microsociété populaire avec cynisme et dépeint une large galerie de personnages que l’on connait tous (le médecin de famille alcoolique, le boucher de sous-préfecture généreux en lieux communs, le curé de campagne, l’enfant atteint de handicap…etc.), faisant de Des individus femelles de l’espèce humaine qui chutent un roman hilarant et jouissif.

Mais comment vous faire pleinement percevoir le style de Desproges ? Hum … et bien, c’est facile : je dirais simplement que si je maniais la langue sur vos organes génitaux externes aussi bien que Pierre Desproges la sienne sur le papier, il y a longtemps que vous auriez eu un orgasme.

Entre calembours et saillies absurdes, Desproges était également connu pour ses phrases à rallonge qui manquaient de virgules. Et si tu avances sans la virgule, comment veux-tu que je t’enGLING-GLING-GLING-GLING-GLING (le Président fait tinter sa clochette) … que je t’empêche de te noyer dans ta phrase ? Et forcément, je vous le donne en mille, dans Des nanas qui s’cassent la gueule Pierre ne Desproges pas à cette règle.

Bref, c’est peu de dire qu’en lisant Des gow en PLS, j’ai pris une leçon ET du plaisir (C’est un zeugma. Pas la peine de consulter, c’est pas contagieux).

Donc Desproges est coupable, mais la lecture de son roman des Femmes qui tombent vous en conviendra mieux que moi.

Couverture du roman "des Femmes qui Tombent" dessinée par Sempé. On y voit une femme à vélo sur un chemin vue du cielUn livre à lire avant l’Apocalypse nucléaire ; mais tardez pas trop à le commencer quand même…

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Des femmes qui tombent, Pierre Desproges, Éditions du Seuil, 1985

Allez l’acheter chez votre libraire du village. Et s’il n’y a plus de librairie, c’est simple : ouvrez-en une.

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