Rouge ou Mort est la biographie (avec des éléments de fiction) de Bill Shankly, mythique manager de l’équipe de football de Liverpool dans les années 60 et 70, écrite dans le plus pur style de David Peace.
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Allez, encore un livre bizarre.
C’est pas pour me donner un genre hein (mytho !) mais apparemment je n’aime que des livres bizarres.
C’est pas de ma faute, mais en re-parcourant mes chroniques sur ce site, je me suis rendu compte que j’avais un attrait pour des textes ayant trait à l’obsession, j’en veux pour preuve mes chroniques sur
- Et quelquefois j’ai comme une grande idée de Ken Kesey
- Au printemps des monstres de Philippe Jaenada
- Et le diable a surgi de Bruce Conforth et Gayle Dean Warlow
- La maison des Feuilles de Mark Z. Danielewsy
- Ou même le Forcenés de Philippe Bordas.
Mais revenons un peu en arrière.
Quand j’apprends que l’anglais David Peace, l’auteur du fameux quatuor du Yorkshire (rien à voir avec le putain de clébard à sa mémère) ou de la trilogie de Tokyo (là par contre c’est bien de la ville qu’il s’agit) a fait un livre sur un « gentil », comme il est dit sur la quatrième de couverture, c’est simple, j’en tombe de ma chaise.
Comprends-moi, lecteur-ice chérie-e : David Peace qui fait autre chose que du noir, c’est aussi rare que Stephen King qui ne fait pas de l’horreur, que Pierre-Emmanuel Barré qui ne fait pas de l’humour, ou qu’Emmanuel Macron qui ne fait pas de la merde.
Tu sais, moi quand ça va mal, je me radine chez mon bouquiniste avec une ordonnance de noirceur pure pour qu’il me délivre immédiatement ma dose de Ken Bruen, de Jim Thompson, et de David Peace.
Comme ça, à défaut de noyer mon chagrin dans l’alcool, je le dilue dans une Pinte de Bruen, un shot de Thomson, ou un verre de Peace !
Et à ce moment-là de ma vie, autant te dire que ça allait vraiment mal. Du genre vraiment VRAIMENT mal. Et en plus je n’avais même plus de glace rhum-raisin au congélateur.
Alors, même si David Peace sort une biographie d’un certain Bill Shankly, entraineur du Liverpool FC dans les années soixante et soixante-dix et dont je n’ai jamais entendu parler, et que je m’intéresse à peu près autant au football qu’à l’élevage des escargots de Bourgogne : je fonce !
(Tiens tu savais que pour un escargot sur vingt-mille la coquille s’enroule dans le sens antihoraire. On dit alors qu’ils sont senestres. Et bien, moi c’est pareil : je dois être un humain « senestre », ma coquille s’enroule dans le sens inverse des aiguilles du temps).
Red or Dead – Rien à voir avec la Cité de la Peur – soit Rouge ou mort en français,
(Sans déconner : ils se sont vraiment pas foulés à la traduction, on perd la rime alors qu’il y avait plein d’autres possibilités superbes, par exemple :
- Rouge ou ne bouge,
- Écarlate ou éclate,
- Carmin ou défunt,
- Cramoisi ou moisi,
- Rubicond ou au fond (du trou)
… engagez-moi pour plus de rigueur dans les traductions)
, Red or Dead, donc, est un livre méticuleux, obsessionnel, maniaque.
J’ai bien conscience que le style risque de vous rebuter, mais je n’y peux rien, j’aime ce genre de livres.
Huit cents pages d’une écriture très répétitive, exigeante, dans un style obsessionnel amenant l’auteur à décrire la moindre action, le moindre geste de son personnage parfois de manière compulsive, dix fois, vingt fois au cours de 15 saisons du Liverpool FC, décrites matchs par matchs, qui le mèneront du fin fond du classement de la seconde division jusqu’à la Coupe d’Europe.
« Et les supporters du Spion Kop jettent leurs écharpes à Bill. Leurs écharpes rouges. Une pluie d’écharpes tombe sur Bill. En guise de remerciement. Toutes leurs écharpes. Leurs écharpes rouges. Et Bill ramasse leurs écharpes. Toutes leurs écharpes. Leurs écharpes rouges. Et Bill noue une écharpe autour de son cou. Une écharpe rouge. Et Bill brandit une autre écharpe. Une autre écharpe rouge. Entre ses poings. Une écharpe. Une écharpe rouge. Tenue bien haut. Entre ses bras levés. En signe de remerciement. »
Davis Peace a dû réaliser un travail bibliographique de titan pour construire son livre qui est jalonné de faits réels, de déclarations, d’interviews, de photographies, puis combler le récit entre ces éléments d’archives, d’abord sur 45 chapitres en tant qu’entraineur du FC Liverpool, puis 45 chapitres après lorsque Shankly a pris sa retraite (2 moitié de 45 chapitres : tu l’as ?).
Lire Rouge ou mort, c’est redécouvrir le foot d’il y a 60 ans, juste avant le basculement dans le sport-business. Quand les transferts étaient encore à 50 000 livres, que les matchs gagnés rapportaient 2 points, et qu’on jouait la coupe d’Europe des villes de Foire…
Mais c’est aussi prendre conscience de la possibilité du football comme moteur d’ascension sociale, ou au moins comme vecteur de joie dans la grisaille du quotidien ; le foot comme seul espoir pour des gamins d’une zone sinistrée de l’Angleterre, Liverpool, dans une région ouvrière où l’avenir, c’étaient les mines de charbon. Avant que ce ne soit le chômage.
« Certaines personnes pensent que le football est une question de vie ou de mort. Je trouve ça choquant. Je peux vous assurer que c’est bien plus important que ça. » Bill Shankly.
Surtout, Rouge ou mort raconte l’intelligence d’un homme qui a su élever le stade d’Anfield en forteresse imprenable et terrifiante pour les adversaires des Reds, un tacticien un brin provocateur qui a réussi à tirer le meilleur parti du Spion Kop (rien à voir avec le Zap de Spi0n) en mesurant l’importance des fans, des supporters et des spectateurs avant tous les autres.
Le portrait touchant d’un entraîneur humaniste qui restera toute sa vie fidèle au parti travailliste.
La légende raconte que c’est sous l’ère Shankly que les supporters auraient introduit l’hymne mythique des Reds, You’ll never walk alone, dans sa version Gerry & the Peacemakers.
On referme ce livre, et pourtant en tendant l’oreille on peut encore entendre le Spion Kop qui scande son nom : « SHANKLY ! SHANKLY ! SHANKLY « , et on a des frissons.
Un livre à lire avant l’apocalypse nucléaire, mais tardez pas trop quand même …
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Rouge ou Mort, David Peace, Ed. Rivages, 2014, trad. Jean-Paul Gratias (Pardon Monsieur Gratias pour mes blagues sur la traduction du titre)
Allez l’acheter chez votre libraire du village. Et s’il n’y a plus de librairie, c’est simple : ouvrez-en une.